Chase — Ennea
Restant dans le thème de choses que j’ai apprises en lisant le vieux journal, je me suis finalement essayé sur ce disque qui a longtemps été un habitué des bacs à 1 $. (Les bacs à 1 $ n’existent à peu près plus; je crois que ce disque est maintenant dans la zone 3.99!) Je suis très familier avec la pochette, mais je n’ai jamais même pensé de me poser la question de ce que ce disque pourrait contenir avant de voir qu’ils étaient l’un des rares groupes « de jeunes » à jouer à la Place des Arts à une époque où c’était généralement l’endroit pour voir des chanteurs français et des big bands de jazz gériatrique. On entend jamais, jamais, jamais parler de Chase en 2023; il n’y a pas un seul boomer qui te parle de Chase même s’ils ont été bookés pour une semaine entière de shows au Jardin des Étoiles de La Ronde. (J’imagine que le fait que ça a été annulé témoigne du fait qu’il y a moins de boomers qui tripaient à Montréal qu’on pense.)
Chase est vendu comme étant « le groupe de jazz-rock le plus populaire du monde » dans ses pubs de 1973. En 2023, l’étiquette jazz-rock veut dire ben des affaires, mais à l’époque de Chase, ça voulait plutôt dire du rock avec ben des cuivres à la Blood, Sweat and Tears ou Chicago. Vu la panoplie de dudes poilus sur le cover, ce n’est pas si surprenant, mais en toute honnêteté, j’ai toujours pensé que c’était de la genre de musique ambiante nouvelle âgeuse proggish, un mélange de Syrinx/Vangelis / Emerson Lake and Palmer. Apprendre que cela est JAZZ a piqué ma curiosité et je me suis donc farci leur deuxième album pendant que je travaillais.
Il y a indéniablement quelque chose de très travaillé et blanc à la musique de Chase. Comme le prog médiéval qu’on aimait tant au Québec, il y a beaucoup plus d’emphase sur la composition que sur l’improvisation; parfois, les arrangements et les orchestrations sont tellement tights que ça sonne un peu comme de la grosse variété crasse. Ce qui empêche ça de sonner trop poli, c’est le chanteur G.G. Shinn, qui a une voix rauque de type R & B/soul qui coupe un peu à travers les murs de cuivres et rapproche ça des premiers disques de Chicago. (Parfois, il a même un phrasé qui rappelle Ruth Copeland, un album NETTEMENT SUPÉRIEUR dont je vais sûrement parler bientôt.) Shinn a du grit, mais le reste de l’album, pas tant; les chansons de la face A sont courtes et vaguement inutiles, finissent toujours sur un fadeout et contiennent plus de moments cheesy que de moments ou le band peut vraiment se laisser aller. Les cinq premières tounes ont plus rapport avec du Gregory Charles que du jazz, j’dirais. (La sixième, Woman of the Dark, est probablement la meilleure sur le disque.)
La face B du disque est une suite prog grecque conceptuelle vaguement prétentieuse; elle est quand même intéressante d’un point de vue instrumental, mais est aussi truffée d’affaires pour venir gratter les fans de Gentle Giant dans le sens du poil comme du falsetto pis des sons de vague et autres esties de niaiseries de même. Y’a de la wah-wah mais aussi des tentatives de rendre ça opératique qui tombent solidement à plat. Ennea a ses moments, mais ça reste un peu emmerdant et vaguement chapeau bas dans ses ambitions commerciales.
Chase a sorti un autre album l’année d’après — un album supposément beaucoup plus jazz-fusion —, mais la carrière du groupe fut écourtée de manière permanente quand son leader, Bill Chase, et trois autres membres sont morts dans un accident d’avion. C’est peut-être ça, en fin de compte, qui fait que Chase est juste une note de bas de page… ou peut-être que c’est juste que ce n’est pas parce que quelque chose est populaire que c’est bon.
P’tête!
Si vous aimez : Uncle Chapin d’Uncle Chapin, Vehicle de The Ides of March, les deux disques de Manfred Mann Chapter Three, Chicago Transit Authority de Chicago, I Am What I Am de Ruth Copeland, les disques poches de Dr. Music, Lighthouse
Où t’as pogné ça?
Sur Spotify, mais c’est pas comme si c’est difficile à trouver, ce n’est que le profond hasard du destin qui a fait que je n’en ai pas un chez nous.
C’est-tu sur Spotify?
Vas-tu l’acheter?
Je ne pense pas que je vais faire un effort pour avoir ça à portée de main, mettons. Y’a du bien meilleur stock que ça qui sonne comme ça dans ce monde.
CAN — Live in Cuxhaven 1976
Bon. Attachez vos tuques parce que c’est certain que ceci ne sera pas la seule fois où je vous parle de CAN.
CAN est un groupe allemand fondé à la fin des années 60 par des musiciens issus de la musique classique d’avant-garde. Irmin Schmidt et Holger Czukay avaient en fait étudié avec Stockhausen et œuvraient dans un monde plutôt intellectuel et académique, détaché du rock, quand ils décidèrent de fonder un groupe en ajoutant un batteur de free-jazz et un kid de 19 ans qui suivait des cours de musique avec Czukay. Après une brève présence d’un flutiste américain qui quitta parce qu’il trouvait la musique trop normie (!), CAN engagea finalement un chanteur noir américain du nom de Malcolm Mooney qui fut leur chanteur sur le premier album, Monster Movie. Ce dernier quitta (supposément sous l’emprise d’un « Can loop », ce qui n’est pas surprenant à entendre cette musique) et fut remplacé par un pouceux japonais du nom de Damo Suzuki qui parlait à peine allemand et n’avais aucune véritable formation en musique.
C’est ici que CAN s’imposent comme pionniers de ce qu’on appelle le krautrock, une musique expérimentale et improvisée proprement allemande qui préconise généralement plus les textures, la répétition et l’improvisation de groupe que la dextérité et la complexité des compositions du rock progressif britannique et américain. Le terme krautrock est un peu galvaudé, surtout maintenant que ces sons-là ont été repris par des groupes aucunement allemands, mais ça se définit généralement par un beat percussif rythmé et immuable (le motorik), les synthétiseurs, l’absence de structure traditionnelle puisée dans le blues, l’improvisation et les techniques tirées de la musique classique d’avant-garde comme le drone ou la musique concrète. On peut même dire que CAN a inventé des techniques d’enregistrement encore communes aujourd’hui, parce qu’ils étaient parmi les premiers à enregistrer un long jam et façonner des chansons à travers le montage de ces longs jams-là.
Les années Damo sont les années que tout le monde connaît de CAN, et on va surement y revenir, mais aujourd’hui il faut s’attarder à une période assez mal-aimée de la carrière de CAN : la période post-Damo. Après le départ de Damo en 1976, les membres décident de séparer les tâches vocales entre eux, puis d’ajouter de moins en moins de vocalises dans les tounes alors que la musique prend un virage moins agressif et plus ambiant, voire dansant. Depuis environ un an, le label du groupe (mené par Irmin Schmidt, qui est le seul encore vivant parmi le lineup original allemand — Suzuki et Mooney sont toujours en vie) s’est mis à sortir des enregistrements live de cette période dans laquelle les concerts du groupe étaient presque exclusivement instrumentaux et improvisés. Live at Cuxhaven 1976 est donc composé de quatre chansons simplement nommées Cuxhaven Eins, Zwei, Drei et Vier, enregistrées devant public dans un village de type vaguement station balnéaire de 50,000 personnes en Allemagne.
Des trois sorties d’archives de ce récent programme de concerts live, Cuxhaven est de loin le plus funky et le plus accessible. (C’est aussi le moins long, étant celui de la gang qui rentre sur un seul disque tandis que Stuttgart et Brighton sont des albums triples.) Au risque de sonner comme un vieux radoteux qui a juste entendu un disque dans sa vie, Live at Cuxhaven 1976 sonne beaucoup comme du Miles Davis électrique à son plus épuré. Le groupe préconise les structures répétitives qui reviennent sur eux-mêmes et le guitariste Michael Karoli attaque les chansons avec des éclats d’accords funk. Il n’y a pas vraiment de paroles (quoique ça marmonne un peu des fois) et les musiciens sont parfois tellement dans la zone qu’ils réussissent à essentiellement créer de la musique dance électronique un genre de dix ans avant le temps et ce, de manière ostensiblement totalement organique.
C’est certain que ce n’est pas l’enregistrement le plus déjanté ou « out there » de CAN; si on le place contre ce que les autres groupes de la mouvance krautrock faisaient en 1976, ce n’est même pas particulièrement original. Mais est-ce que c’est bon? Oh oui.
Si vous aimez : On the Corner de Miles Davis, Allways de Cave, Rocksession d’Embryo, E2-E4 de Manuel Gottsching, Knirsch de Wolfgang Dauner’s Et Cetera (avec Larry Coryell)
Où t’as pogné ça?
Sur Amazon. À ma défense, il y avait un deal.
C’est-tu sur Spotify?
Vas-tu l’garder?
Ça me semble plutôt impossible d’imaginer me débarrasser de quelque chose qui a rapport avec CAN sauf si je l’ai en double. J’ai déjà brièvement mis le troisième disque de Phantom Band (avec Jaki) en vente et j’ai été pris d’une grande vague de regret instantanément.
Sonny Boy Williamson — Bummer Road
C’est rough, le blues en 2023. Quand on pense au blues, on ne pense pas nécessairement à quelque chose d’edgy et cool. On pense au bistro à Jojo, on pense au Boys Blues Band, on pense à Jim Zeller, on pense peut-être, gros max, à BB King. C’est un genre de musique qui a été blanchie 40,000 fois par des centaines de groupes de boomers pour finalement en effacer presque entièrement les origines. Les vieux bluesmen sont morts et ils n’ont pas été remplacés par des gens avec le même parcours de vie qu’eux; ils ont été remplacés par Steve Hill. (No diss du talent de Steve Hill ou de qui que ce soit d’autre que je pourrais mentionner ici — c’est juste autre chose. Dans le contexte d’une foire agricole, genre, c’est sweet.)
Moi-même, c’est rare en ti-péché que j’écoute du blues; c’est simplement impossible que je décide d’écouter du nouveau blues en 2023. J’aurais bien trop peur de tomber sur de la musique d’annonce de bière (ou, pire, un émule des Black Keys). Avant de déménager et de remettre mes disques en ordre alphabétique, j’avais une section blues plutôt famélique qui ne faisait même pas la moitié d’un cube d’Expedit, et je dois dire que je n’y allais pas souvent. En soixante ans et des poussières, c’est passé de quelque chose de révolutionnaire, de cru et même un peu dangereux à un cliché ambulant.
Je suis retourné au Beatnick changer ma copie warpée du disque de Pierre Barouh mentionné la semaine dernière et, ayant maintenant un crédit qui brûle dans mon âme, j’ai acheté Bummer Road de Sonny Boy Williamson. C’est mon premier disque de Sonny Boy Williamson et, bien honnêtement, la seule raison pour laquelle j’ai même reconnu ce disque m’est vague. Je me souviens d’avoir lu quelque part que quelqu’un que j’estime particulièrement — c’était soi les Replacements, Tom Waits ou Nick Lowe — était très fan de ce disque et avait terrorisé une station de radio ou il était invité en faisant jouer la dernière chanson de la face A de ce disque, une piste de 11 minutes intitulée Little Village (qui se trouve à être le nom du supergroup que Lowe a formé avec John Hiatt, Ry Cooder et Jim Keltner, de ou ma supposition que ce serait Lowe qui a terrorisé ladite station). C’est d’ailleurs écrit sur le disque « unsuitable for airplay » parce que la chanson commence avec une chicane truffée de « motherfuckers » entre Williamson et son producteur Leonard Chess, qui constate (quelque peu avec raison) qu’il n’est pas vraiment question d’un village dans la toune.
Nul besoin de vous expliquer comment ça sonne, du blues. Sonny Boy est un harmoniciste, à la base, mais les enregistrements qu’on retrouve sur Bummer Road (qui est en fait une compilation composée à ¾ de choses qui ne sont jamais sorties) ne sont pas exactement des exemples de virtuosité. Sur quelques-unes des pistes, Williamson joue à peine de l’harmonica! On y retrouve le son typique de Chess Records, mais la chose qui me semble la plus distincte, c’est comment Williamson le chanteur livre ses chansons. On dit que le blues c’est le grand désarroi, la grande tristesse, l’émotion pure et ainsi de suite; Sonny Boy Williamson n’a pas exactement l’air de s’ouvrir les tripes sur le stage ici. Il est plus baveux que triste sur la majorité des tounes; il a plus l’air de nous provoquer qu’autre chose.
Après une écoute de Bummer Road, il me semble assez évident que ceci n’est pas nécessairement la meilleure manière de découvrir Sonny Boy. C’est un document historique plus qu’autre chose, surtout quand tu écoutes les multiples « false starts » de Little Village. Si j’étais un genre de AllMusic, je vous dirais quelque chose comme « pour les initiés seulement » et je vous conseillerais une compil double parue en 1997 sur CD seulement comme la meilleure introduction à Sonny Boy Williamson. Mais je ne suis pas ça, et écouter de la musique, ça tient à plus que juste toujours commencer à la bonne place avec la bonne affaire et avoir le plus d’informations complémentaires. LA MUSIQUE C’EST PAS DES DEVOIRS, dit le dude qui se fait un devoir d’écrire sur toute la musique qu’il écoute.
Si vous aimez : Moanin’ in the Moonlight de Howlin’ Wolf, West Side Soul de Magic Sam Blues Band, After The Rain de Muddy Waters
Où t’as pogné ça?
Au Beatnick!
C’est-tu sur Spotify?
Pas dans cette forme exacte de Bummer Road, mais au nombre de compils et de « extended editions » qu’on trouve sur Spotify, je suis certain que vous allez pouvoir le recréer si ça vous tente.
Vas-tu l’garder?
Je pourrais envisager de m’en départir si jamais je me ramasse à garnir les rayons de plus de Sonny Boy Williamson, mais pour le moment, oui.
Cory Hanson — Western Cum
Cory Hanson est le dude principal du groupe Wand, un groupe que je pourrais décrire comme étant un groupe dont je suis au courant de l’existence. C’est un collaborateur de Mikal Cronin et Ty Segall, deux artistes dont j’apprécie bien la musique, mais qui sont tellement productifs que je trouve ça impossible de me décrire comme un amateur de leur travail. Bref, exactement le genre de truc conçu pour me passer 10 pieds au-dessus de la tête avant d’y revenir six ans plus tard en disant « crisse, mais c’est ben bon, ça, finalement ». C’était pas mal ça qui était écrit dans le ciel pour le nouvel album de Cory Hanson avant que j’entrevoie le cover sur le site du Vacarme; une illustration d’un désert aux tonalités vaguement 70 s/Hipgnosis… avec, dans le coin, des bulles de dèche. Et le titre. Dèche western.
C’est assez pour qu’un gars s’dise « qu’est-ce que c’est que c’est ça?”.
Bien qu’on pourrait s’attendre à quelque chose d’ironique ou wacky dans les teintes de Ween vu la présence de bulles flottantes de sperme sur le cover, les références les plus évidentes qui me viennent en tête à l’écoute de Western Cum sont (encore une fois) Neil Young (spécifiquement la Ditch Trilogy ), mais aussi Sonic Youth, Built to Spill et des guitar heroes plus récents comme William Tyler or Chris Forsyth. Autrement dit, c’est un disque qui part d’une base de country rock, mais offre un ratio de 4:1 entre le rock et le country. Ce n’est pas, à proprement parler, un disque de singer-songwriter en salopettes dans la tradition 70s, mais ce n’est pas pas ça, non plus. Ce qui est le plus surprenant, c’est qu’on ne retrouve pratiquement aucun Grateful Dead dans le son alors que leur influence est à an all-time high chez les rockeurs de coat de suède américains. En dépit des centaines de références que j’ai lancées jusqu’à maintenant et l’autre centaine que je risque de lancer tantôt, il n’y a pas grand-chose de rétro dans Western Cum; c’est un disque qui n’a pas le choix d’exister en 2023.
Je ne suis pas le premier à dresser un parallèle entre Western Cum et Thin Lizzy, mais je dirais plutôt qu’on retrouve là le melting-pot d’influences des deux premiers que, mettons, The Boys Are Back In Town. Beaucoup de twin guitars, de montées épiques, mais aussi de dissonance. Sur la troisième piste, on part d’une intro quasiment grindcore, on passe à un verse extrêmement doux bercé par de la pedal steel, et on repart dans le grindcore avant de Hansen n’est pas du type à gueuler, mais sa voix n’est pas vraiment idiosyncrasique non plus; les moments les plus faibles du disque sont probablement ceux qui laissent trop de place à la voix, mais c’est peut-être aussi parce que le crunch des guitares est aussi réussi que je pense ça. La dynamique LOUDquietLOUD est très répandue à travers le disque, par ailleurs!
Si le concept « l’album country de Sonic Youth » vous parle, c’est pas mal ça!
Si vous aimez : There is Nothing Wrong With Love de Built to Spill, Sonic Nurse de Sonic Youth, Secret Stratosphere de William Tyler and the Impossible Truth, Nightcap at Wits’ End de Garcia Peoples, On the Beach de Neil Young, Shades of a Blue Orphanage de Thin Lizzy, Dreaming in the Non-Dream de Chris Forsyth, Bananamour de Kevin Ayers
Où t’as pogné ça?
Spotify!
C’est-tu sur Spotify?
Vas-tu l’acheter?
Oui, mais probablement dans un magasin ou je ne vais pas me sentir awkward d’acheter un disque avec des bulles de dèche dessus, parce que masculinité fragile and such. (S’t’une joke.)
Jazz? Peut-être.
Blues? Ok.
Mais dèche? J'AI MON VOYAGE!