Long time, no see! Je vais me contenter de dire qu’une infolettre par semaine, c’est peut-être trop… mais une par mois, c’est pas assez!!
Barbara Keith - S/T
People expect you to to fall and hit that same old wall
Really they don't wanna help at all
They talk behind your back today
They shake their heads and they say
Well, I always knew that the boy would come to no good anyway
Il y a une dizaine d’années, sans doute inspiré par la possibilité que Discogs offrait de dresser des discographies semi-complètes du travail de musiciens de session, j’ai entrepris d’entendre tous les disques sur lesquels le guitariste de pedal steel Sneaky Pete Kleinow apparaît. Je ne sais pas exactement pourquoi j’ai jeté mon dévolu sur Sneaky Pete; j’aime les Flying Burrito Brothers comme tout le monde, mais je ne suis pas obsédé par la pedal steel pour autant. Je pense que c’est plutôt une question de précision — un batteur de studio va pouvoir jouer de la batterie sur toutes sortes de choses, incluant des affaires ultra-plates, tandis qu’un joueur de pedal steel œuvrant dans les années 60 et 70 à Los Angeles risque de jouer sur des choses qui se ressemblent un peu.
Vous avez bien compris : Sneaky Pete est une source intarissable de salopette blues.
Barbara Keith a débuté sa carrière au sein du groupe Kangaroo, un groupe de rock psychédélique de Boston qui a fait paraître un seul album en 1968. Barbara Keith ne chante que deux tounes sur l’album et n’y joue pas, selon mes recherches, d’instrument; deux tounes qu’elle a écrit, quand même, mais la nature disparate et le son aucunement uniforme de cet album éponyme de Kangaroo suggère un projet qui n’a jamais particulièrement eu le vent dans les voiles. Kangaroo se sépare, le drummer ND Smart s’en va fonder Mountain avec Leslie West (il n’y reste que pour un album, remplacé par le montréalais Corky Laing) tandis que John Hall s’en va fonder le groupe de soft-rock de bac à 1 $ Orleans. Barbara Keith se retrouve agente libre et, comme c’était le cas à la fin des années 60, elle obtient rapidement un contrat de disque.
C’est à peu près tout ce que ça prenait en 1969 pour obtenir un contrat de disque — en avoir déjà eu un autre. Le nombre de disques solo que les majeures ont produit venant de membres de groupes psychédéliques de troisième trio est pratiquement incalculable; il y en a tellement et les CV de ces musiciens-là sont souvent tellement peu garnis avant la parution de l’album que c’est difficile d’y voir autre chose qu’un label mêlé qui garroche de l’argent par les fenêtres. Ça ne veut pas dire que ces musiciens-là ne sont pas talentueux ou qu’ils ne méritent pas cette opportunité, mais la forte concentration veut dire que bien des choses sont un peu tombées dans le néant.
Barbara Keith en sait quelque chose — l’album dont il est question ici est en fait son deuxième album solo après une tentative peu fructueuse sur Reprise Records. Cet album-là était un peu sorti le cul entre deux chaises, dans les décombres de la scène folk new-yorkaise, backé par ce qui allait devenir Great Speckled Bird, le groupe de country-rock du duo folk Ian & Sylvia. C’est un album « ben carrec » dans la lignée de plein d’autres trucs du genre, mais il n’est pas vraiment transcendant non plus. L’album dont on parle aujourd’hui, le deuxième album éponyme, a été enregistré en 1972 à Los Angeles, en plein essor de la Mellow Mafia1 et la vague country-rock de la côte ouest. Il est produit par Larry Marks, un producteur avec une feuille de route de salopette blues des plus impressionnantes : Gene Clark, le premier Lee Michaels, Phil Ochs, Emmitt Rhodes, les Flying Burrito Brothers. C’est donc, en bonne et due forme, un album de va-nu-pieds de Topanga Canyon.
Et, bien franchement, je vais vous l’admettre tout de suite : mon amour pour cet album de Barbara Keith tourne presque entièrement autour d’une seule et unique toune. L’album n’est pas un one-tracker2, mais il y a quand même une track en particulier qui se démarque : Detroit or Buffalo.
Detroit or Buffalo est le genre de toune que t’entends pour la première fois pis que tu te dis « c’est quoi ça, il me semble que je connais ça? », mais c’est probablement faux. C’est le genre de toune qui est reprise par des gens qui l’aime d’un amour pur, mais pensent qu’ils sont les seuls à connaître ça; il y a présentement 14 versions de Detroit or Buffalo sur Spotify. Detroit or Buffalo est une espèce d’hymne country-rock qui n’a rien à envier à The Band, un ver d’oreille sans pareil qui offre un solo de pedal steel de Sneaky Pete et Lowell George qui joue de la slide. Ç’aurait dû être un succès interplanétaire, mais, pour des raisons que nous allons explorer un peu plus tard, le label ne l’a même pas sortie comme simple. Dix ans plus tard, la chanteuse Melanie (I've got a brand-new pair of roller skates / You've got a brand-new key) l’a sortie comme simple; elle n’a même pas atteint les palmarès.
Detroit or Buffalo, ce n’est quand même pas trop compliqué. C’est une ballade de séparation dans laquelle la protagoniste quitte une relation qui chie; elle se demande où elle va aller, à Détroit ou Buffalo, tout en se questionnant sur ses véritables émotions face à son choix. Le genre d’affaire qui est endisqué 20,000 par année, même à ce jour; il y a une belle retenue au niveau de la crise de bacon, mais les paroles en tant que telles ne sont pas exceptionnelles. C’est le tout qui est parfait, le petit bounce de l’intro acoustique, la voix claire et non-twangée de Keith (qui verse parfois dans le twang ailleurs sur l’album), le minimalisme relatif du drum et du piano, le petit « twwwiiiiiing » de slide guitar avant que le chorus parte… C’est le type de toune qui pourrait en beurrer épais, surtout considérant le haut niveau de talent musical sur la pièce, mais le dosage est juste parfait. J’ai de la misère à l’écouter juste une fois, quoique je vais vous admettre que je l’ai vraiment écoutée beaucoup cette semaine et que je commence à avoir hâte de passer à autre chose.
Le reste de Barbara Keith est bien, quoique jamais aussi transcendant que Detroit or Buffalo. Parmi les moments forts, on trouve une version folk-bongo de All Along The Watchtower (encore une fois, un sucker pour les bongos) et The Bramble and the Rose, un folk plus downer/britannique qui a aussi été repris plusieurs fois. Il y a malheureusement trop de chansons mid-tempo un peu similaire sur l’album, et l’aspect gospel récurrent sur plusieurs des chansons plus enjouées laisse un peu à désirer, surtout si la semaine d’avant, t’as écouté I Am What I Am de Ruth Copeland 36,000 fois pour écrire ton infolettre.
Quelque part avant ou pendant l’enregistrement de son album, Barbara Keith est tombée amoureuse de Doug Tibbles, un ancien scénariste de sitcom devenu musicien et ami du susmentionné Larry Marks. Ils se sont mariés, Barbara Keith a redonné son avance pour l’album au label (qui a profité de ceci pour ne pas promouvoir l’album et le laisser mourir dans les bacs) et ils ont déménagé à Greenfield, Massachusetts, où ils ont fait autre chose (l’histoire ne dit pas quoi) jusqu’à la fin des années 90, où ils ont formé le groupe The Stone Coyotes avec leurs deux fils. The Stone Coyotes ont quand même eu une certaine notoriété quand Elmore Leonard a essentiellement écrit un roman sur eux après les avoir vus au Viper Room (!). The Stone Coyotes font du country rock, mais pas de la même façon que Barbara Keith faisait du country rock en 1972; c’est des reprises de Dolly Parton avec des gros powerchords crunchy ou des reprises de Motorhead avec un twang prononcé. Je ne vais pas vous mentir que ça fait un peu foire agricole de Brome par bouttes, mais quand même — un band familial, c’est cute. Hélas, Doug Tibbles est décédé l’année dernière, mais les Stone Coyotes semblent encore exister sous une forme ou une autre.
Le monde des disques obscurs de salopette blues par des membres de groupes psychédéliques ayant existé 2 — 3 ans, tout au plus, en est un plutôt masculin. Considérant le désir ardent des labels de prendre des chanteuses et de les transformer en artistes de variété en robe à paillettes, le fait que Barbara Keith a reçu un traitement soi-disant « masculin » est plutôt surprenant. Ce n’est pas exactement un trésor caché de type Sibylle Baier /Susan Christie /Linda Perhacs, simplement parce que l’approche des majeures favorise toujours un choix de tounes et de sons hétéroclites, mais y’a Detroit or Buffalo dessus, chose que peu d’albums peuvent se targuer d’avoir.
Horse Lords - Comradely Objects
Je me suis dit qu’il faudrait ben que je parle de groupes qui existent présentement, des fois, question de faire découvrir des groupes aux gens alors qu’ils ont un nouveau disque, mettons, ou qu’ils sont en ville pour un spectacle. Le problème avec ça, c’est que les nouveaux groupe n’ont pas tant d’historiques,pour ainsi dire, et que je dois tomber assez rapidement dans le vif du sujet. Le vif du sujet, vous aurez maintenant compris après plusieurs mois de ceci, est rarement mon safe space.
Heureusement, je vais pouvoir tergiverser un brin ici en vous parlant de math rock, un sous-genre de musique que je ne comprends pas et qui est, il me semble, souvent utilisé pour décrire Horse Lords. L’idée du math rock provient en fait de l’idée que la musique utilise des signatures de temps inhabituelles; au lieu de faire du 4/4 (comme la majorité du rock, mettons) ou du ¾ (une valse), ils y vont avec des affaires non conventionnelles qui proviennent généralement du prog. Le math rock, par contre, n’est pas du prog à proprement parler, parce que la majorité des groupes décrits comme étant du math rock sont plutôt issus des scènes alternatives des années 80 et 90. Le math rock est donc, mettons, le punk-prog. Cette appellation est pas mal niaiseuse en surface, mais force est d’admettre que je trouve ça quand même difficile de décrire Horse Lords autrement.
Quand tu pitonnes Horse Lords dans Google, l’une des premières suggestions est « Horse Lords jazz band », ce qui n’est pas faux non plus. Horse Lords, dans le fond, c’est un brin post-genre comme musique, du rock expérimental qui a autant rapport avec Glenn Branca que Tinariwen que Grateful Dead que James Blood Ulmer, Sonic Youth et Tortoise. Comme Sonic Youth, Horse Lords priorisent les guitares accordées de manière inhabituelle et les instruments modifiés, mais contrairement à Sonic Youth, leur approche est (sur papier, du moins) assez cérébrale. Selon Wikipédia, ils utilisent la « just intonation », un principe de composition qui m’est absolument incompréhensible, mais qui est, justement, plus associée à la composition d’avant-garde de type La Monte Young3.
Jusqu’à maintenant, je sens vos yeux se lasser et votre cerveau commencer à fomenter des plans alternatifs pour le reste de votre pause de dîner. Tout cela, sur papier, n’est pas particulièrement sexy. Il fut un temps, il n’y a pas si longtemps, où j’aurais tout fait pour me joindre à vous dans votre échappée. Le fait est que des groupes comme Horse Lords sont assez intimidants et en parler peut-être assez difficile. Suffit de dire que le son de Horse Lords se situe quelque part entre de la musique électronique d’avant-garde allemande de type Klaus Schulze, du desert blues de type Tinariwen et du post-punk minimaliste à la Wire. Le plus impressionnant dans ça, c’est qu’on commence assez rapidement à oublier ce qu’on écoute et à entendre les éléments séparément. Tu ne peux pas « airdrummer » ou « airguitarer » du Horse Lords de manière satisfaisante; ça semble tout sortir du même tuyau, et pourtant je sais que c’est impossible.
Je ne suis pas particulièrement fan de musique électronique au sens large, en partie parce que je suis trop jeune pour avoir vu le changement séismique arriver et que pour moi, « musique électronique » sera toujours un synonyme de « boum-boum sortant d’une Civic à une lumière rouge » et je ne vais donc jamais vraiment être porté vers ça. Je comprends, cependant, à quel point ce changement fut radical pour les créateurs et à quel point l’apport d’éléments électroniques dans la création a soudainement offert un monde de possibilités infinies (que certains ont utilisé pour faire du boum-boum de Civic). Je trouve ça fascinant que certains des premiers disques de musique house ou techno sont des choses comme E2-E4 de Manuel Gottsching, un disque qui est essentiellement l’œuvre d’un guitariste. C’est un peu ce genre d’expérimentation qu’on retrouve dans Comradely Objects, qui est probablement le disque le plus rythmé de Horse Lords.
Le cinquième album studio de ce quatuor de Baltimore se démarque effectivement par son approche beaucoup moins expérimentale que les précédents. Sur certains des autres disques de Horse Lords, on tombe carrément dans l’abstrait; certaines pistes sonnent comme un clavier qui sombre lentement dans une dense swompe tandis que d’autres s’approchent plutôt du noise. Comradely Objects offre plutôt des pistes rythmées et hypnotisantes qui, même si elles retiennent l’angularité des influences électroniques, mettent plus d’emphase sur les lignes de guitare grêle inspirées du desert blues. Il y a aussi beaucoup plus de jazz ici, le saxophone ayant une place plus centrale dans la dissonance. Loin de moi l’idée de qualifier un groupe aussi pointu et champ gauche que Horse Lords d’accessible, mais mettons qu’il fallait absolument trouver quelque chose d’accessible dans leur œuvre, je dirais que les deux premières pistes Zero Degree Machine et Mess Mend pourraient même tirer quelques moves de danse de personnes à l’imagination fertile.
Comme de fait, Horse Lords sont à Montréal cette semaine — plus précisément à La Sotterenea ce samedi. J’y serai!4
Haruomi Hosono - Hosono House
Je voulais d’abord parler d’un disque de Hosono paru en 1999 et je me suis rendu compte que le niveau de contexte nécessaire pour même expliquer le tiers de ce que Hosono avait fait rendu en 1999 allait prendre une infolettre au complet, alors me voici, au début. (Ce n’est même pas réellement le début.) Plus ça avance, plus je suis convaincu qu’il est essentiellement possible de tracer le portrait de presque toute la musique populaire contemporaine à travers les nombreux, nombreux (nombreux) projets de Hosono. Il n’y a pas vraiment d’équivalent occidental à Haruomi Hosono; le plus proche serait probablement Paul McCartney, mais même McCartney était trop occupé à être une rock star pour inventer le chiptune, par exemple. Comme Hosono emploie souvent le pastiche parallèlement à l’innovation, c’est facile de regarder une œuvre en particulier de lui et d’y trouver un comparatif. C’est quand on « dézoome » que ça devient compliqué.
Haruomi Hosono débute dans le monde de la musique en tant que bassiste pour la formation The Apryl Fool, un groupe de hard rock/rock psychédélique faisant partie de la deuxième vague des groupes rock japonais. La première vague, connue sous le nom de Group Sounds, représente essentiellement une panoplie presque infinie de groupes post-Beatles tandis que cette deuxième, beaucoup plus pesante et souvent expérimentale, tire plutôt son influence de groupes comme Deep Purple, Cream ou Led Zeppelin. The Apryl Fool existe parallèlement à la vague folk rock contestataire, qui rejoint énormément les étudiants et mène à l’enregistrement de centaines de disques par année. Quand The Apryl Fool se dissout peu de temps après la parution de leur unique album, Hosono et le batteur, Takashi Matsumoto, enregistrent l’album Niyago de Kenji Endo et deviennent rapidement le groupe du Bob Dylan japonais, Nobuyasu Okabayashi. (J’ai déjà pas mal parlé de ça ici.)
Ce groupe-là devient Happy End, qui ont un peu le même rôle dans le rock japonais que Robert Charlebois a dans le rock québécois. Avant l’arrivée de Happy End, c’était considéré peu viable de chanter du rock en japonais. Les groupes de Group Sounds reprenaient presque exclusivement des succès du monde anglo-saxon, et leurs tentatives de transposer le style dans leur langue étaient vues avec suspicion. Pour les bonzes de l’industrie (et, j’imagine, une partie du public qui buvait leurs paroles), le japonais appartenait au kayokyoku, la forme plus traditionnelle qui s’apparente plutôt à la chanson française, elle-même une version au goût du jour de l’enka, forme encore plus vieillotte de chanson japonaise5. Le kayokyoku n’utilise pas les prononciations stylisées venant de l’anglais; comme le japonais est grammaticalement et phonétiquement plutôt différent de l’anglais, les rockers japonais devaient beurrer ça un peu plus épais, ce qui ne plaisait pas à certains puristes de la même manière que le joual de Charlebois en faisait sourciller plus d’un.
Happy End ont obtenu un succès monstre et sont devenus en quelque sorte les porte-étendards d’une jeunesse engagée, enclenchant aussi une gigantesque vague de folk rock chanté en japonais, avec les accents toniques et autres spécificités propres à la langue japonaise. Contrairement à certains autres groupes de la même époque, il y a très peu de couleur traditionnelle japonaise dans la musique de Happy End. Bien que révolutionnaires au point d’être considérés comme les Beatles du Japon, Happy End sonnent plutôt comme Crosby, Stills and Nash ou Little Feat. C’est toutefois avec ce statut de demi-dieu de la musique que Hosono entame l’enregistrement de son premier album solo accompagné du guitariste de Happy End, Shigeru Suzuki, et des membres du groupe Caramel Mama, groupe qui allait éventuellement devenir Tin Pan Alley. Happy End avaient alors décidé (à l’amiable) de se séparer après un enregistrement difficile, fin 1972, d’un troisième album à Los Angeles sous la supervision de Van Dyke Parks6.
Essuyant un certain niveau d’échec suivant l’enregistrement houleux de cet album dans la terre promise de l’Amérique, Hosono continua tout de même de prioriser un son Americana sur Hosono House7. Il voulait recréer les conditions d’enregistrement de Music from Big Pink de The Band, album qui avait été enregistré à même une maison de campagne éloignée dans lequel le groupe avait habité, pratiqué et enregistré de manière plus… conviviale. Les avancées technologiques faisaient en sorte que Hosono a pu installer un petit studio de fortune dans une chambre à coucher de sa maison de banlieue — chambre si petite que la console était dans une autre pièce!8 Située à Sayama, à environ une heure de Tokyo, la Hosono House était en fait une ancienne maison pour les familles de soldats américains pendant la Deuxième Guerre… l’équivalent japonais d’un retour à la terre à la Mainmise.
Plus tard dans sa carrière, Hosono allait définir son œuvre comme du « sight-seeing music » ou musique touristique; il considérait que sa manière de reprendre, remodeler, réinterpréter et réimaginer les styles était équivalente à faire voyager son public. Hosono House reste un exercice tout de même assez peu radical quand on le compare au reste de l’œuvre, du folk-rock rustique avec des mélodies qui s’inspirent des courants pré-rock (comme ceux de Tin Pan Alley, ce quartier new-yorkais du tournant du siècle qui abritait un nombre faramineux de maisons d’édition de partitions, qui donna par la suite son nom au groupe de musiciens rassemblés) et quand même un peu de la musique d’Okinawa, cette préfecture qui passa près de 30 ans sous le joug de l’armée américaine et qui possède tout de même une qualité polynésienne / « exotica » considérable9.
Le son est rustique, détendu et organique; la méthode d’enregistrement (qui, apparemment, enregistre le son dans la pièce plutôt que les instruments dans la console, mais je suis encore plus poche en techniques d’enregistrement qu’en solfège) permet une intimité et une proximité assez unique. Les influences sont peut-être un peu normies (Jackson Browne, James Taylor), mais les chansons puisent dans un imaginaire un peu plus vaste que celui des dudes de 24 ans sur la cocaïne à Los Angeles. L’album commence avec Rock-a-Bye My Baby, qui est une chanson originale qui est ni la comptine Rock-a-bye Baby (on the treetop, the cradle will rock, et ainsi de suite) ni la showtune Rock-a-Bye My Baby With A Dixie Melody, popularisée par Al Jolson dans les années 20; c’est définitivement une toune qui rend hommage à cette tradition américaine de chanson, par contre, et ça met le ton pour le reste de l’album.
Le party ne lève jamais particulièrement, même sur une piste nommée Party ou sur Fuku Wa Uchi Oni Wa Soto, dans lequel Hosono utilise un clavier électrique pour produire le genre de mélodie qu’on associe plutôt à un kalimba africain. (C’est le ver d’oreille de la patente, et de loin.) C’est un disque très relax, mais il y a tout de même beaucoup d’innovation ou, du moins, de décisions inhabituelles sur Hosono House, même si le produit reste l’un des plus conventionnels de toute la carrière de Haruomi Hosono.
Les fans de Yellow Magic Orchestra ou des œuvres électroniques de Hosono trouvent ceci tout de même assez simpliste et les fans de city pop habitués à une production cristalline et survoltée vont pas trop accrocher à la vibe pieds nus et haschisch de la patente non plus. Ce n’est pas faux que pour un musicien aussi innovant que Hosono, ce premier album peut sembler un brin convenu. Visiblement, même Hosono est un peu de cet avis. Cinquante ans plus tard, il enregistre Hochono House, une version revampée et réimaginée de son premier album qui filtre les dix pistes à travers 50 ans d’expérimentation et d’identité musicale. Il est vrai que c’est un disque peut-être un peu difficile à vendre sachant tout ce dont Hosono allait être capable dans le futur (futur très rapproché, il faut dire, son album suivant Tropical Dandy étant pas mal plus pété), mais je ne suis jamais de mauvaise humeur en l’écoutant.
Goo Goo Dolls - S/T
Je pense que pour la vaste majorité des gens nés entre, mettons, 1975 et 1990, les Goo Goo Dolls, c’est la toune Iris. (Je pense que les gens qui sont nés à l’extérieur de ces balises n’ont pas vraiment d’opinion sur les Goo Goo Dolls.) C’est certain qu’ils ont eu une période où, objectivement, ils étaient populaires; depuis leurs débuts en 1985, ils ont eu 19 chansons dans le top 10 et vendu plus de 15 millions d’albums. Mais comme un bon motton de groupes alternatifs populaires dans les années 90, ils n’ont pas exactement laissé d’empreinte culturelle significative en dehors d’Iris, l’ultime slow des années 90. En fait, les Goo Goo Dolls n’ont jamais cessé d’exister, de sortir des albums et de tourner; je dois donc me rendre à l’évidence qu’il y a encore des gens, quelque part, qui écoutent ça avec entrain et détermination. Ils ont fucking 20 millions d’auditeurs mensuels sur Spotify (et 1.5 MILLIARD D’ÉCOUTES pour Iris), ce qui suggère que quelqu’un, quelque part, aime ça. Je dois aussi me rendre à l’évidence que je n’ai jamais entendu quelqu’un me parler des Goo Goo Dolls comme quelque chose qu’ils aiment.
En fait, c’est arrivé quelques fois. Je me souviens de lire une entrevue avec Brendan Kelly du groupe de punk rock The Lawrence Arms — à l’époque où je n’écoutais que du punk rock rauque venant avec l’approbation des membres de Punknews.org — qui expliquait que les Goo Goo Dolls avaient été une influence importante sur sa manière de chanter dans les débuts du groupe. Peu de temps après, j’ai trouvé une copie de leur album éponyme de 1987 chez Phonopolis, alors que c’était dans un tout petit local sur l’Avenue du Parc qui constitue maintenant la moitié d’un magasin de souliers. Je n’étais pas particulièrement aventureux à cette époque, et je me souviens également que le disque coûtait 16 $, ce qui me semblait excessivement élevé à cette époque ou 16 $ pouvait parfois t’acheter un disque neuf.
C’est assez évident dès les premières secondes de l’album que a) ça ne va pas sonner comme Iris, et b) ça va sonner comme les Replacements. Bien que les Goo Goo Dolls soient originaires de Buffalo, New York et non pas du Minnesota comme les Replacements, ils ont la même approche broche à foin et ouvrière au punk. D’ailleurs, à voir la photo du groupe sur la pochette, ils ont pas mal tout pris au Replacements, incluant les cheveux en bataille de spray net et les chemises carreautées et vestons dépareillés. Ça tombe bien, parce qu’il n’y a pas mal rien que j’aime plus sur cette terre que les Replacements sauf ma blonde, ma famille, mes amis et les sandwiches.
Ni artsy ni purement dans la vélocité et l’agression comme un groupe de hardcore de la même époque, les Goo Goo Dolls chevauchent la ligne entre le punk de garage de sniffeux de colle et ce qui allait devenir le punk rock de type Warped Tour un peu plus tard. Les sujets sont nombreux et peu diversifiés — je suis saoul, je suis pauvre, je suis triste, je suis cave, je suis horny, je suis gelé, etc. Si les Replacements peuvent attribuer leur son particulier au sein de la scène punk du début des années 80 au fait que leur guitariste Bob Stinson n’en avait rien à chier du punk et préférais Blue Oyster Cult et Yes, les Goo Goo Dolls semblent plutôt avoir une influence vaguement métal de fond de cabanon qui fait en sorte que les riffs font un peu Kill ‘Em All. (En fait, les prochains albums de la formation allaient paraître sur Metal Blade!)
On passe donc de garage métalleux (Torn Apart) à du proto-Fat Wreck (Living in a Hut) à du Replacements aux hooks irrésistibles (I’m Addicted) aux reprises broche à foin pince-sans-rire que les Replacements faisaient en spectacle, mais rarement en album. Ici, c’est une version vaguement Garage Inc. de Sunshine of Your Love et un Don’t Fear The Reaper qui transforme sa mélodie culte en sing-along morveux et décousu de soubassement d’église. Le disque se termine avec Don’t Beat My Ass With A Baseball Bat, une genre de parodie bondissante de country niaiseuse dans laquelle les gars ont l’air complètement paquetés pour les couplets et partent sur une dérape punk pour les refrains. C’est l’hommage aux Replacements le plus évident de l’histoire des hommages.
La particularité de l’album éponyme versus tout ce qui arrive après est que toutes les chansons sont chantées par le bassiste Robby Takac, qui s’acquitte bien des trucs plus hardcore ou même métal mais semble incapable de pas faire passer toutes les chansons mélodieuses ou power-pop par son nez. Ca donne une qualité très inégale au disque qui n’est pas sans rappeler la dernière track sur There Is Nothing Wrong With Love de Built to Spill, dans lequel ils parodient différents styles de rock alternatif le temps d’un extrait de dix secondes. Il n’y a pas vraiment de ligne conductrice à travers l’album, ce qui est assez excusable quand t’apprends que le budget entier du disque était de 750 $, qu’ils ont dépensé la majorité sur de la bière et des méthamphétamines et qu’ils ne se rappellent pas vraiment de l’enregistrement.
Une chose est certaine : je n’ai jamais produit quelque chose d’aussi abouti pendant un blackout, et je suspecte que c’est le cas pour la majorité du monde. Goo Goo Dolls est loin d’être un classique de l’époque; ils sont beaucoup, beaucoup trop redevables aux Replacements pour leur son et, quand ils semblent être en train de se tourner vers un son plus mélodique presque skate-punk, cela sonne tout autant comme une blague que quand ils font Don’t Beat My Ass With A Baseball Bat. Je considère quand même que cet album éponyme ait des qualités autres que la satisfaction inhérente à faire jouer ça à un quidam et leur expliquer que c’est le même groupe que la ballade quétaine du film ou Nicolas Cage joue un ange. Quarante ans plus tard, on existe dans un monde où il n’y a plus de nouveaux albums des Replacements, une denrée qui m’est pourtant chère10. En contrepartie, il y a beaucoup d’imitations assez fidèles, ce qui fait amplement la job.
C’est le nom non-officiel donné au groupe The Section, formé de Craig Doerge, Russ Kunkel, Danny Kortchmar et Leland Sklar; l’ajout d’autres musiciens comme Waddy Wachtel, David Sanborn, Joe Lala et David Lindley se valait plutôt le nom de Mellow Mafia. The Section sont le groupe sur bon nombre de disques de folk / soft rock californien du début des années 70 d’artistes comme Linda Ronstadt, Carole King, Jackson Browne, James Taylor et ainsi de suite. Tous les membres de The Section apparaissent sur Barbara Keith.
Se dit d’un album avec une seule bonne toune dessus
La Monte Young, né le 14 octobre 1935 à Bern (Idaho, États-Unis), est un compositeur et artiste américain de musique contemporaine. Young est souvent associé au mouvement de la musique minimaliste, qu'il a contribué à créer, avec notamment sa composition Trio for Strings (1958), considérée comme l'une des œuvres fondatrices du minimalisme. Il a également été proche dans les années 1960 de la musique expérimentale de John Cage et a collaboré avec des artistes du mouvement Fluxus. Young a contribué à créer le courant musical dit de drone, à partir de ses compositions statiques utilisant des sons de très longue durée. (Wikipédia)
Pour les curieux, ceci est l’album que je trouvais difficile à décrire le mois passé. C’est assez évident, selon moi!
Généralement parlant, le “son japonais” cliché que vous entendez dans une sitcom des années 80 est probablement du enka.
Van Dyke Parks est surtout connu pour ses collaborations avec les Beach Boys en tant qu’arrangeur et producteur mais il a aussi été un musicien de session très productif en plus de pondre plusieurs albums très weirds de son propre cru. Touche-à-tout et caméléonesque, Parks a souvent intégré des éléments de musique du monde (surtout caribéenne et pré-WWII) dans son oeuvre. En 1989, par ailleurs, il fait paraître Tokyo Rose, un hommage à la musique japonaise d’avant-guerre. Pour promouvoir le disque au Japon, il fait appel à… Haruomi Hosono, qui joue avec lui en concert. (C’est aussi lui qui joue de l’accordéon sur fuckin’ Kokomo.)
Fun fact: l’album Harry’s House de Harry Styles tire son nom de Hosono House, Harry était le diminutif de Haruomi. Très weird d’imaginer Harry Styles en train d’écouter du Hosono.
Ce procédé d’enregistrement rappelle aussi… Paul McCartney, qui a enregistré son premier album seul chez lui un peu de la même manière.
L’instrument qui définit le son d’Okinawa est le “sanshin”, un genre de long banjo boosté à trois cordes; il n’y en a pas sur Hosono House
Il y a quand même une shitload de concerts qui sortent encore, ce qui arrive à étancher ma soif un brin.