Vous remarquerez sans doute qu’il n’y a pas eu de Tout ce que j’écoute la semaine passée parce que j’étais un brin débordé avec des choses n’ayant rien à voir avec les disques ou écouter de la musique. Ceci dit, je suis revenu du Saguenay avec une grosse pile de disques, une sélection all-star de boomer québécois (Supertramp, Styx, Charlebois, Chicago, etc.) alors attendez-vous à en entendre un peu parler dans les prochaines semaines.
Nobuyasu Okabayashi - Jump Before You Look (見るまえに跳べ)
C’est maintenant l’heure de vous expliquer comment ça se fait que j’écoute autant de musique japonaise — ou, plutôt, comment tout cela a commencé. Il y a de cela presque dix ans, je me promenais sur YouTube à la recherche de je ne sais quoi et je suis tombé sur un vidéo live d’un certain Nobuyasu Okabayashi en spectacle. C’était un dude aux cheveux mi-longs, un folkie de toute évidence, qui faisait un concert devant une foule monstre. J’étais interpellé par la guitare stridente qui accompagnait la chanson et par les aboiements de Okabayashi quand la toune était vraiment à son apogée ; aussi stupide cela peut-il sembler maintenant, j’ignorais que ce type de folk rock existait au Japon.
À ce stade-là de ma vie, la musique japonaise se résumait pour moi aux groupes alternatifs qui ont eu une certaine percée en Amérique du Nord : the 5678s, Cibo Matto, Shonen Knife, Boredoms, Guitar Wolf, Acid Mothers Temple et ainsi de suite ; même là, je n’écoutais pas vraiment beaucoup de cette musique. À cette époque, Chrome n’avait pas encore intégré la capacité de traduire une page en un clic ; il fallait donc que je pitonne les kanjis sur YouTube et que je les pitche dans Google Translate afin d’essayer de trouver une piste sur comment obtenir plus de ce délicieux nectar qu’était Nobuyasu Okabayashi. Ce n’était pas évident, et mes recherches ne m’amenaient pas vraiment là où je voulais aller. Quelque part après ça, Light in the Attic a fait paraître Even A Tree Can Shed Tears, une compilation tout de même pas pire étoffée de folk japonais qui ne contient pas de tounes de Nobuyasu Okabayashi ; j’ai toutefois bien aimé la compil, ce qui m’a ramené dans la sphère d’essayer de trouver cette foutue toune sur vinyle.
Toutes ces recherches m’ont éventuellement guidé vers 見るまえに跳べ ou Miru Mae ni Tobe (ce qui signifie « saute avant de regarder »), le troisième album de cet artiste connu sous le sobriquet de « God of Folk » au Japon. Le Wikipedia de Nobuyasu Okabayashi (l’un des rares artistes japonais à avoir un Wikipédia moindrement étoffé) dit qu’on l’appelle parfois le Bob Dylan du Japon, sans doute parce qu’il sonne pas mal comme le Bob Dylan du Japon. C’est un peu plus complexe que ça, quand même ; d’abord un chanteur contestataire armé simplement d’une guitare acoustique, Okabayashi s’est tanné des limitations et de la pureté assumée du mouvement folk contestataire (ça vous rappelle-tu quelqu’un) et s’est armé d’un band — mais pas n’importe lequel band. Le groupe qui accompagne Okabayashi sur Miru Mae ni Tobe est nul autre que Happy End, sans doute le groupe rock le plus important de l’histoire du Japon. Les Beatles du Japon, genre. Cet album est essentiellement Bob Dylan backé par les Beatles.
Pour comprendre à quel point Happy End et Okabayashi sont radicaux pour la culture japonaise, il faut comprendre quelque chose que moi-même je ne comprends pas à 100 %. Le phrasé dans le japonais oral étant très important, ce fut un peu difficile pour eux d’embarquer pleinement dans la vague du rock ‘n roll américain. L’élongation d’une syllabe et les intonations changent ce qu’un mot veut dire — grosso modo, là, chu pas linguiste — et donc la musique japonaise avant l’avènement de Happy End réplique le phrasé parlé japonais, qui n’est pas toujours au diapason du son de la musique rock. C’est pourquoi beaucoup de la musique populaire japonaise des années 60 — le eleki1 et les Group Sounds2 — est soit instrumentale ou en anglais phonétique.
Happy End se sont mis à chanter selon les accents toniques et les intonations de la musique occidentale, mais en japonais — ce qui fut fucking révolutionnaire pour une jeunesse qui ne se reconnaissait pas nécessairement dans les modes précédentes. C’est un peu comme quand Charlebois est arrivé en chantant en joual, mais là, Charlebois est Bob Dylan backé par les Beatles. Tout cela a engendré une ÉNORME vague de folk et de folk rock au Japon, facilement comparable en termes de volume à celle des Américains. En fait, presque tout le monde a fait du folk rock d’une manière ou d’une autre au Japon ; ce n’est pas rare qu’une figure de proue de la city pop ou même du punk aille deux ou trois disques de folk rock cachés quelque part dans leur discographie.
Quand je tente de recommander de la musique japonaise de cette scène et/ou période aux gens, je me bute souvent à l’argument que c’est difficile d’embarquer dans quelque chose dont on ne comprend pas les paroles. C’est vrai que les textes sont assez importants chez Okabayashi et que c’est difficile de s’engager dans les paroles engagées d’un engagé si on ne les comprend pas. Toutefois, j’aimerais quand même paraphraser Kid Congo Powers dans une revue de musique britannique que j’ai lue sur la bolle chez mes parents cette semaine : je n’ai pas besoin de comprendre les mots pour savoir ce que quelqu’un a à dire.
Dans cet ordre d’idée, il est évident que Nobuyasu Okabayashi a des choses à contester. Le disque débute définitivement dans les tons de l’œuvre de Dylan — d’abord avec une balade rustique à la The Band, puis suivie d’une chanson uptempo ponctuée de guitare électrique très Highway 61 Revisited. Cette dernière, qui se traduit par “A Song Dedicated To Policemen”, ne me semble pas exactement élogieuse envers ces derniers. Le ton d’Okayabashi est baveux et la performance de Happy End assez nerveuse. La troisième chanson voit Okabayashi pratiquement couiner de jouissance (!) dans certaines de ses livraisons de paroles — ce qui n’est pas surprenant quand on apprend que la chanson s’appelle quelque chose comme “Cultural and Sexual Revolution”.
Le ton est généralement plus au folk rock qu’aux chansons sensibles d’auteur-compositeur ; les solos sont fréquents et les musiciens sont tout de même laissés lousses un peu partout sur le disque, qui franchit relativement souvent le seuil de bûchage de Dylan. Autrement dit, ça sonne beaucoup comme du Bob Dylan, mais ça se permet de bûcher plus que Dylan ne se l’est jamais permis, sauf peut-être dans les enregistrements du Rolling Thunder Revue — et, encore là, c’est un type de bûchage assez différent.
La chanson qui m’avait tant impressionnée dans la vidéo est ici, aussi ; c’est Watashitachi no Nozomu Mono Wa (What We Want Is) et sa forme sur l’album est beaucoup moins gritty que dans la vidéo. La version sur le disque est beaucoup plus une toune de “sortez vos briquets” (évoluant vers le refrain hurlé à gorge déployée que j’avais entendu sur YouTube qui est ici précédé d’une explosion et de bruits de… drapeau qui flotte au vent ?), ce qui rend le fait que la version en concert que j’ai entendue ne laisserait aucune place pour le sortage de briquets et le berçage de bord en bord fort intéressant ! Il y a aussi une chanson assez relaxe dans laquelle il semble vilipender le diffuseur public du Japon, NHK ; je dis semble parce que la toune se termine avec Okabayashi qui racle sa morve, chose qu’on fait rarement quand on parle de quelque chose que l’on aime.
Bien qu’il ait essentiellement fait paraître un album par année de 1969 à 1981, la carrière d’Okabayashi était pas mal en dents de scie ; il sortait souvent des albums sans se produire en spectacle, et quelque part dans les années 70, il abandonne généralement le folk rock et son énonciation occidentale pour faire dans le enka, la chanson traditionnelle japonaise. Il existe presque entièrement en concert pendant les années 80, se retrouvant sans maison de disque, et en 1987 il fait paraître une cassette d’enyatto, une nouvelle forme de rock de son cru. Cette cassette est introuvable, alors je ne sais pas comment sonne ce enyatto de son cru. Depuis ce temps, il continue de faire des spectacles, mais la majorité de ses parutions sont des enregistrements de concert.
Ce qui m’a impressionné à l’époque et qui continue de m’impressionner à ce jour à propos de beaucoup de musique japonaise, c’est la perméabilité des genres à l’intérieur de l’œuvre d’un même artiste. On s’entend que s’il y avait un musicien occidental qui était considéré le God of Folk, il sonnerait crissement plus comme Pete Seeger que Gene Clark, et il aurait essentiellement eu à porter ce fardeau pour toujours. Bob Dylan est Bob Dylan et, à ce jour, les gens vont le voir en spectacle et s’indignent que Like a Rolling Stone ne sonne plus comme en 1965 et ce, même si elle n’a pas sonné comme ça depuis environ 1968. N’ayant pas les mêmes traditions que les musiciens occidentaux, mais ayant tout de même les mêmes inspirations, Okabayashi réussit à faire de la musique qui est à la fois impossible à imaginer sans l’apport de Bob Dylan et totalement à part des traditions un brin calcifiées du folk rock occidental. Ça peut bûcher sur un esti de temps et frôler la berceuse en l’instant d’une seconde.
Je n’ai toujours pas réussi à trouver l’enregistrement spécifique sur un disque, par contre. Peut-être que ça n’existe pas. Ceci dit, j’ai maintenant quelque chose comme 10 disques de Nobuyasu Okabayashi.
Si vous aimez : Harvest de Neil Young, Happy End et Kazamachi Roman de Happy End, Highway 61 Revisited de Bob Dylan, It Ain’t Exactly Entertainment de Gerry Goffin, Hosono House de Haruomi Hosono, Greasepaint Smile d’Elyse Weinberg, Music from Big Pink de The Band, l’album éponyme de Great Speckled Bird, Folkejokeopus de Roy Harper
Où t’as pris ça ?
Je l’ai fait venir sur Internet, mais je crois que je ne connaissais pas RecordCity JP à l’époque alors je me suis sans doute fait avoir.
C’est-tu sur Spotify ?
Malheureusement pas, mais YouTube l’a (pour le moment).
Vas-tu l’garder ?
Évidemment.
Tom Waits —The Heart Of Saturday Night
Si Closing Time me semble maintenant embryonnaire sachant ce que Tom Waits allait accomplir dans le reste de sa carrière, The Heart of Saturday Night est fort probablement le premier album de Tom Waits qui sonne, parfois, comme du Tom Waits. Première collaboration de Waits avec Bones Howe (qui allait être l’architecte du son de Waits pendant une genre de décennie jusqu’à ce qu’il rencontre sa femme Kathleen Brennan), The Heart of Saturday Night va jusqu’à singer la pochette de In The Wee Small Hours de Sinatra. Ostensiblement, l’idée est la suivante : exit la guitare acoustique, exit les sentiments à fleur de peau du chansonnier, le sifflotage et pratiquement tout ce qui rend Closing Time une anomalie dans sa discographie. Le but est de rajouter des éléments de jazz plus explicites ; même si Closing Time peut se targuer de parfois être jazzy, ici, on est carrément en mode cabaret/complet fripé. Si le Tom Waits de Closing Time pouvait commander une bière dans I Hope I Don’t Fall In Love With You sans que ça semble hors de caractère, le Tom Waits de The Heart of Saturday Night est bourbon or bust. Il faut quand même se rappeler que ceci est sorti un an après Closing Time, par contre ; on ne se défait pas d’une image pour en enfiler une autre aussi rapidement.
L’œuvre de Bones Howe jusqu’à The Heart of Saturday Night ne laisse pas présager exactement ce qu’on va retrouver dans cet opus de Waits ; il était surtout connu pour ses productions de groupes de pop orchestrée comme The Association et The 5th Dimension. Howe a quand même aidé à façonner un son très baroque/sunshine pop et californien n’ayant absolument rien à voir avec ce que Waits fait ici ; difficile d’imaginer quelle sorte de conversation ils ont eu avant d’entamer l’enregistrement, mais force est d’admettre qu’il y a tout de même un brin de surproduction évident dans The Heart of Saturday Night. La deuxième chanson, San Diego Serenade, est essentiellement une petite bluette de type Closing Time beurrée de cordes qui sont beaucoup plus appropriées dans un contexte de pop psychédélique qu’ici ; d’autre part, ben, il singe Sinatra sur la pochette, et Sinatra ne faisait pas exactement dans le free jazz, non plus.
C’est en réécoutant The Heart of Saturday Night que j’ai réalisé que je ne suis pas vraiment capable de bien identifier ou séparer cette période de la carrière de Tom Waits. Elle a longtemps été ma préférée parce que c’est la plus braillarde/accessible, mais avec le recul, c’est tout de même un brin flou. C’est un album transitoire qui ne sonne jamais vraiment comme le premier, mais qui ne réussit jamais à pleinement effacer Waits le jeune folkie sincère.
Diamonds on my Windshield illustre bien ce propos ; c’est la première chanson purement jazz/beatnik de Waits, où il quasi-rappe par-dessus de la contrebasse et de la batterie jazzy parfois entrecoupées de bribes de guitare à peine perceptibles. Il fait son personnage de gars qui rime, quelque part entre un poète et le gars qui essaye de convaincre le monde de monter dans son bar de danseuses ; il finit même par claquer des doigts en lançant des « hmm-mmm » sur la fin de la toune, qu’il ponctue de « Look here, Jack ! ». C’est le début de ce que Tom Waits s’apprête à devenir… mais c’est un peu chambranlant. C’est peut-être dans mon vieil âge que je remarque ça, mais il sonne comme un kid — un kid beaucoup plus confiant que sur Closing Time, où il ne parvient presque pas à masquer sa gêne, mais un kid quand même.
The Heart of Saturday Night est donc assez clairement partagé entre le vieux Tom (de 24 ans) et le nouveau Tom (de 25 ans), mais rarement à l’intérieur de la même chanson. Les types de chansons s’entrecoupent pratiquement tour à tour ; des fois, on a une balade agrémentée de cordes et d’accords de guitare acoustique qui résonnent tandis que dans la chanson d’après est un lent blues de piano très « cabaret enfumé ». Ces deux aspects-là de Tom Waits existent pas mal tout le long de sa carrière, mais le clivage entre les deux est rarement aussi évident.
L’exercice de vraiment écouter et penser à ces choses-là activement me fait réaliser que le processus d’émulsification de la patente a pris beaucoup plus de temps que je pensais.
Il y a quand même beaucoup de gens qui trouvent que Tom Waits est un gros phoney-baloney, comme j’ai mentionné quand je jasais de Closing Time, mais force est d’admettre que Waits lui-même a encore l’air de se trouver un peu phoney-baloney ici. Il a essentiellement fait une croix sur sa carrière pré-Swordfishtrombones comme étant l’œuvre d’une personne qui n’existait plus, mais le fait est que même avec ses nombreuses qualités, The Heart of Saturday Night est l’œuvre d’une personne qui n’existait pas encore.
Si vous aimez : Comme j’ai statué la dernière fois qu’on a couvert Tom Waits, y’a comme plein d’affaires qui ressemblent à Tom Waits, mais c’est pas évident de faire un lien direct entre lui et le reste. Toutes les recommandations que je peux faire ici sont « ben, c’est un gars qui chante, pis y’a une contrebasse. » Si vous voulez entendre quelque chose de weird, par contre, allez écouter la version de Jerry Jeff Walker de la pièce-titre de cet album.
Où t’as pris ça ?
Il y avait beaucoup de disques de Waits dans la collection de mon père (elle aussi mentionnée dans l’infolettre où il était question de Closing Time), mais je ne crois pas que celui-ci s’y trouvait. En fait, je me rappelle exactement où je l’ai acheté — au Sonic Boom à Toronto, dans l’ancien, ancien, ancien emplacement sur Bloor à côté du cinéma Bloor/Hot Docs. Les vinyles étaient dans la cave3. (La place que ceci prend dans mon cerveau serait sans doute plus utile pour retenir quelque chose comme le jour où les poubelles passent sur ma rue, mais hélas, c’est ici que je suis rendu.)
C’est-tu sur Spotify ?
Vas-tu l’garder ?
Ça ne saute pas aux yeux vu mes nouvelles révélations ayant trait à Tom Waits, mais définitivement.
Yoko Ono - Fly
C’est sans doute le mythe le plus tenace et avec le moins de fondement du rock : Yoko Ono est une harpie sans talent qui n’a jamais rien fait de bon dans sa vie ET elle est responsable de la fin des Beatles. Laissez-moi donc rectifier ça tout de suite : Yoko Ono est une artiste avec une œuvre très riche (quoique je vais vous accorder que si votre shit c’est genre Here Comes The Sun, c’est un chemin passablement rude pour s’y rendre) et les Beatles n’auraient probablement pas toughé ben longtemps de plus sans son existence4. Au risque de sonner comme un snob qui nage à contre-courant pour se rendre intéressant (chose dont on m’accuse quand même souvent et que vous pensez peut-être déjà de moi — si c’est le cas, que faites-vous encore icitte ?), j’irais même jusqu’à dire que Fly est un meilleur album que bien des albums solos des quatre garçons dans le vent. (Top 5, même.)
Je n’irais quand même pas jusqu’à dire que vous avez tout faux, quand même ; la musique de Yoko Ono à cette époque est challengeante et pas nécessairement plaisante. Est-ce qu’il y a une part de misogynie et de racisme dans la réputation populaire de Yoko ? Certainement. Mais il faut aussi se rendre à l’évidence qu’elle n’est pas exactement Carole King. Elle a une voix extrêmement aiguë et fait de la musique qui s’apparente beaucoup plus au krautrock qu’aux courants de rock populaire nord-américains ; il y a plein de gens qui n’avaient jamais écouté quelque chose de plus aventureux que du Led Zep qui se sont ramassés avec une copie de Fly par pur besoin de consommer quelque chose avec John Lennon ou Ringo dessus. Je peux imaginer que la confusion et la révulsion de ces gens-là a beaucoup affecté comment on voyait Yoko Ono à l’époque ; c’est à se demander ce qui serait arrivé dans le paysage culturel si les Beatles étaient toujours ensembles à sa sortie et que le disque était plutôt crédité à un nom de band comme, genre, Joko.
John et Yoko n’étaient pas exactement des étrangers à la musique d’avant-garde avant la parution de Fly ; Ono venait quand même du mouvement Fluxus, avait étudié avec John Cage, chillé avec LaMonte Young et avait été mariée au compositeur d’avant-garde Toshi Ichiyanagi avant d’embarquer dans les aventures que sont les deux Unfinished Music, le Wedding Album et le premier album du Plastic Ono Band. À ce sens, Fly était peut-être l’album le plus accessible impliquant Yoko Ono à l’époque de sa sortie — mais il n’est crédité qu’à Yoko Ono, donc c’est automatiquement vu avec suspicion par le public en 1971. Il y a quand même un peu d’explorations de musique concrète, de found sound et autres bruits de pets manipulés dans Fly, mais la progression me semble beaucoup plus réfléchie et naturelle ; c’est un disque de rock expérimental, pas un disque expérimental par des musiciens de rock.
Ceci n’est toutefois pas évident avec la première toune, Midsummer New York, qui est essentiellement juste une version band de garage de Heartbreak Hotel d’Elvis. Bon, évidemment, Yoko Ono ne fait pas dans le crooner, mais ceci sonne généralement comme le genre de truc qui ne voyait le jour que comme piste 27 d’une réédition deluxe en CD. Visiblement, Lennon exorcise ici des démons qu’il allait explorer avec plus de profondeur dans son album Rock ‘n Roll. Il y a d’autres trucs familiers ici ; la quatrième toune, Mrs. Lennon, est l’inspiration directe pour la toune Holocaust de Big Star, une ballade ultra-morne et déprimante qui capitalise sur le thème récurrent de la perte d’un membre. Pour ceux qui auraient plutôt accroché aux expérimentations de musique concrète de Yoko et John, je suis heureux de vous annoncer qu’il y a 30 secondes d’une toilette qui floche (de manière étonnamment flatulente) et 30 secondes d’un téléphone qui sonne.
Ce qui m’intéresse vraiment dans Fly, par contre, c’est à quel point l’album agit un peu comme un miroir à Tago Mago de Can, enregistré en même temps sur un tout autre continent avec, à son centre, un autre japonais diminutif aux talents non conventionnels. Tout comme Damo Suzuki, Yoko utilise sa voix comme un instrument à part entière ; le son qu’elle fait en hurlant les paroles est somme toute plus important que ce que les paroles disent. Je sais que dans le cas de Damo Suzuki, les paroles sont essentiellement improvisées ; je ne sais pas pour Ono, mais je sais que dans certaines situations, ce ne sont même pas vraiment des mots du tout.
C’est certainement le cas pour Mindtrain, un groove motorik de 16 minutes dans lequel le thème récurrent est Ono qui dit “dub-dub” sans arrêt. Je trouve cette chanson hypnotisante comme peu ; je me souviens que, lors de mon premier trip krautrock, je l’écoutais au bureau et me ramassais essentiellement complètement immobile à fixer le mur pendant 16 minutes, une manière tout de même efficace de faire passer une journée de travail plus rapidement. La construction de Mindtrain est extrêmement simple — c’est un groove de drum et de bass qui se replie constamment sur lui-même et des éclats de guitare vaguement bluesy qui interviennent entre les élucubrations d’Ono — mais ce n’est pas exactement le genre de chose qui était monnaie courante dans le rock mainstream à l’époque. Mind Holes, la chanson suivante, est peut-être un peu plus conventionnelle, mais tout de même saturée des bruits dauphinesques de Yoko.
Elle sert un peu d’amuse-gueule pour Don’t Worry Kyoko (Mummy’s Only Looking For Her Hand In The Snow), sans doute le titre-phare de Fly et une influence sur le rock alternatif pratiquement au même titre que, genre, Heroin des Velvet Underground. (J’exagère, mais juste un peu !) C’est ici que l’étendue des talents vocaux d’Ono se fait sentir ; même si on s’entend qu’elle n’est pas exactement Nana Mouskouri, la précision et la puissance de sa voix sont indéniables. Il n’y a pas une pédale de guit ou un tuning bizarre de Thurston Moore qui puisse répliquer ça ; considérant le nombre de bands des années 80 et 90 qui allaient essentiellement puiser dans ce son exact, c’est extrêmement en avance sur son temps — surtout dans un contexte relativement mainstream.
Je pense que c’est aussi vraiment important de souligner cet aspect de Fly. Yoko Ono n’a certainement pas inventé la musique fuckée ; il y avait même de la musique plus fuckée que ça qui se faisait (surtout en Europe) à la même époque. Il y a d’autres groupes relativement populaires qui ont essayé de sortir des trucs expérimentaux à la même époque ; j’ai d’ailleurs parlé d’un disque de Chilliwack il y a quelques semaines qui fait un peu la même affaire. Mais Fly est sorti sur Apple, l’étiquette des Beatles, et a sans doute été beaucoup plus distribué et disponible que, genre, Catherine Ribeiro et Alpes aurait pu l’être à la même époque. Il y a sans doute beaucoup plus de consommateurs qui ont acheté ça et câlissé ça aux poubelles que de gens qui se sont fait exploser la cervelle par la musique expérimentale, mais dans un monde pré-Internet, pré-station d’écoute dans lequel il était sans doute extrêmement difficile pour les gens de découvrir des choses qui n’étaient pas à la radio, ceci était un genre de gateway drug par la bande.
Mindtrain et Don’t Worry Kyoko sont définitivement les deux points forts de Fly ; le reste des chansons (sauf une exception toutefois majeure) sont sur le même moule de percussions/sons fuckés de guitare/sons fuckés de Yoko/pas vraiment de structure. Analyser ces chansons-là à part de l’album (et même les écouter à part) n’a pas le même effet que d’embarquer pleinement dans le trip… ce qui nous amène à la chanson-titre de l’album. Je pense que, pour beaucoup de gens, Fly est la goutte qui fait déborder le vase. Prenant un côté entier du disque, Fly n’est pas vraiment une chanson à proprement parler ; c’est plus près d’être une installation audio dans laquelle Yoko Ono improvise une panoplie de sons pas particulièrement différents des sons qu’on l’a entendu faire partout sur l’album. Pendant plus de la moitié de la piste, par contre, il n’y a pas d’autres instruments ; quand les instruments embarquent, c’est un espèce de drone qui n’apporte ni mélodie ni entrain à la patente.
Je serais en train de vous mentir si je disais que je trouve l’expérience d’écouter Fly (la toune) plaisante ; je serais aussi en train de vous mentir si je disais que je l’écoute à chaque fois que je me tape l’album. Mais reste que ce n’est pas pour rien que ceci se retrouve à la toute fin d’un album tout de même éprouvant ; il y a un certain arc narratif à la séquence des tounes qui font de Fly un fin tout de même appropriée à ce qui se passe avant.
À ce stade-ci, vous lisez probablement mon infolettre depuis quelques semaines. Vous vous êtes probablement maintenant fait à l’idée que je suis l’un de ces fétichistes du vinyle qui doit absolument pognasser l’objet et l’écouter dans la séquence déterminée par l’artiste ; vous pensez probablement que je suis un genre de puriste du sequencing, qui est incapable d’écouter de la musique sans partir un album du début et se rendre à la fin. Vous n’avez pas nécessairement tort ; je fais souvent, mais pas tout l’temps ça. Quand vient le temps d’écouter Fly, par contre, j’apprécie l’œuvre, mais c’en est une qui s’apprécie aussi en morceaux.
Si vous aimez : The Divine Punishment de Diamanda Galas, l’album éponyme de Phew, Tago Mago de Can, Amon Düül (plus spécifiquement le boute pré -Amon Düül II, mais aussi mettons Yeti), Meredith Monk, Starsailor de Tim Buckley si vous avez vraiment besoin de péripéties vocales éprouvantes
Où t’as pris ça ?
J’ai le souvenir distinct d’aller dans un genre de marché de Noël dans un atelier quelconque dans la Petite-Italie pis qu’un dude que je connaissais vaguement d’à travers les dédales d’être des dudes qui se lèvent tôt le matin pour acheter des disques avait deux caisses de disques à vendre. J’ai longuement hésité entre ceci et un Jandek. J’ai revu Fly par la suite, mais jamais le Jandek.
C’est-tu sur Spotify ?
Vas-tu l’garder ?
Oui. C’est le seul Yoko Ono qui a franchi le seuil de ma porte à date [sauf Some Time In New York, qui n’est pas exactement un disque solo de Yoko Ono] et je doute qu’il reparte.
The Shits - You’re A Mess
J’étais en train de parcourir le site de Birdman Sound, défunt magasin de disques d’Ottawa qui vend maintenant, apparemment, des disques dans des événements pop-up quand mon œil fut attiré par la pochette de You’re A Mess de The Shits. Je trouvais que cette pochette particulière détonnait légèrement sur un site englobant majoritairement du rock psychédélique et autres musiques expérimentales ; pour faire un raccourci un brin désobligeant, ça me semblait être du Turbo Haus-core. Rien contre le Turbo Haus, les gens qui y travaillent et les groupes qui y jouent, mais on y retrouve généralement plus des groupes de métal et de hardcore avec des tatouages sur le crâne. Il y a un gars avec des tatouages sur le crâne et dans la face dans The Shits et ils s’appellent The Shits, un nom sans doute utilisé par des centaines de bands de grindcore et de powerviolence et de skate punk cumulant à la gang des centaines de shows ; leur présence incongrue sur le site de Birdman a donc piqué ma curiosité.
Étant un groupe relativement nouveau et peu connu, je ne vais pas vraiment pouvoir vous exposer en long et en large leur biographie et leurs œuvres précédentes. Ce que je peux vous dire c’est que c’est un groupe de Leeds en Angleterre, qu’ils ont trois guitaristes et qu’ils ont un album précédent qui s’inscrit dans la plus pure tradition du noise. Pas le noise rock, mais bien le noise expérimental semi-écoutable, souvent mal enregistré et difficile d’accès. Le genre d’affaire que ton beau-frère est dans un band avec un nom style Affect pis qu’ils sortent des tapes avec une pochette inscrutable en noir et blanc pis que quand tu l’écoutes, c’est impossible de déterminer si c’est un enregistrement live, un bruit de frigidaire qui pisse le fréon ou juste une cassette défectueuse.
You’re a Mess, au contraire, s’inscrit dans la plus pure tradition du noise rock, courant du rock alternatif bercé par les labels SST, Amphetamine Reptile et Touch & Go au milieu des années 80. Les éminences grises du noise rock sont tellement devenues des espèces de légendes respectables de la musique — des gars en suit ou, à tout le moins, en chemise — que ça ne m’est même pas passé par la tête que ces six gars-là habillés en football hooligans pouvaient être le genre de gars qui écoutent du Jesus Lizard ou du Big Black. Je n’aime pas tellement le noise de beau-frère, mais j’aime bien le noise de père, ce qui augure bien pour You’re A Mess.
L’autre signe que You’re A Mess n’est peut-être pas exactement ce que le contenant annonce, c’est qu’il y a plusieurs chansons de 6 - 7 minutes dessus, tandis que la pochette suggère vraiment 27 chansons de 1m7 à propos de casser des gueules et de l’hypocrisie. (Les bands de crânes tatoués sont, il me semble, souvent en train de parler d’hypocrisie.) C’est certain que les titres sont, genre, Bludgeoned to Death et Ugly, Worthless, mais The Shits basent leur musique sur les dynamiques plutôt que sur la vélocité de leur performance musicale. On a donc droit à des chansons longues et lentes à l’atmosphère oppressante, souvent dénuées de riffs ou de refrains. La présence de trois guits approche parfois le son du shoegaze, mais les constructions de tounes sont beaucoup plus proches de Fun House des Stooges.
Je n’ai pas tellement de choses à dire sur ce band, relativement parlant ; ça fait deux semaines que je connais ce disque. Sans être révolutionnaire, ça sonne en crisse. Reste que, bon, des fois il me faut une petite morale habile pour finir mon infolettre, pis cette semaine, c’est : ne jugez pas un album par les tattoos dans face du gars sur la pochette. Des fois, ça l’air de d’la musique agressive d’un certain style, mais c’est peut-être de la musique agressive d’un autre style, finalement.
Si vous aimez : The Jesus Lizard, Slip It In de Black Flag, The Birthday Party, Big Black, le premier Nick Cave and the Bad Seeds, The Jesus and Mary Chain, My Bloody Valentine, Psychedelic Speed Freaks, Les Rallizés Dénudés, le Sonic Youth pré-Daydream Nation, Fun House des Stooges
Où t’as pris ça ?
Sur Spotify par le biais du site de Birdman Sound.
C’est-tu sur Spotify ?
Vas-tu l’acheter ?
Probablement ! Il est juste disponible en importation pour le moment, on dirait, donc je vais devoir user de légèrement plus de débrouillardise que de juste aller quelque part et sortir mon portefeuille.
Grosso modo, du rock instrumental à la Dick Dale ou les Ventures
Grosso modo, du pop-rock-garage-psychédélique sur le moule des Beatles et de leurs imitateurs
Je crois l’avoir payé entre 13 - 15$, ce qui valait alors aux disques d’être scellés dans une pochette à rabat. Maintenant les affaires dans une pochette à rabat au Sonic Boom sont genre des Jackson Browne à 60$.
Il est fort possible que John et Yoko n’étaient pas particulièrement smattes, j’en sais rien