Pensiez-vous que je n’allais pas revenir?
Il s’est passé pas mal d’affaires depuis ma dernière infolettre; certaines, comme avoir une nouvelle job, ont certainement joué dans la balance. Je pense que ce n’est pas un secret pour personne que Tout ce que j’écoute est né pendant les temps morts d’une job qui en avait beaucoup; je n’ai plus cette job, et donc j’ai pas mal moins le temps de pontifier longuement sur ce que j’écoute.
C’est pas mêlant, j’ai moins le temps d’écouter de musique.
Tout ce que j’écoute n’est pas mort pour autant; j’ai encore le désir d’écrire mille mots avant de dire quoi que ce soit sur l’album en question. Je vais juste le faire moins souvent!
Anyway, voici des affaires que j’ai sur le banc depuis un moment. C’est comme une collection de b-sides, genre.
Greg Graffin - Cold as the Clay
Les gens parlent assez peu de Bad Religion de nos jours — du moins, c’est certainement l’impression que j’ai dans mes cercles à moi. Dans les années 90, par contre, c’était impossible d’éviter l’iconographie de Bad Religion; comme les logos de Crass et des Dead Kennedys, le logo de Bad Religion (un crucifix avec un signe « interdit » par-dessus) était omniprésent sur les murs et coats de jeans des fils un peu bums des enfants des amies à ma mère avec qui je devais chiller quand ma mère allait visiter lesdites amies. Contrairement à Crass et aux Dead Kennedys, par contre, Bad Religion surfait la vague de popularité du skate punk et leurs vidéoclips passaient régulièrement à la télévision. C’était donc un band punk auquel j’avais accès facilement mais qui apparaissait toutefois quand même sur les vêtements de gens passablement épeurants que je croisais dans la vie (j’avais ici mettons 12 — 13 ans).
J’ai vraiment embarqué dans Bad Religion avec l’album The Process of Belief, que beaucoup doivent voir comme une cochonnerie commerciale de vendus de fond de poubelle de Warped Tour; je ne sais pas, parce que ça fait presque 20 ans que je ne l’ai pas écouté et que ma chronique d’aujourd’hui ne porte pas du tout là-dessus. Ce que je sais, c’est que j’aimais assez Bad Religion à cette époque pour aller les voir en show1 et écouter des CD mp3 de mon cru composés de tounes de toutes les époques confondues. La scène avait le vent dans les voiles (elle l’a sûrement encore, je suis juste vieux et rendu ailleurs) et tous les groupes que j’aimais pondaient un album par année en plus d’être toujours en tournée. C’était un bon temps pour être la personne que j’étais, sans probablement être objectivement meilleur comme temps que tout autre temps précédent ou subséquent.
Pis là, Cold as the Clay est sorti.
J’ai déjà longuement parlé de ceci dans ces pages, mais pour ceux qui sont nouveaux, voilà : je suis parti de chez mes parents à 17 ans, j’habitais chez ma grand-mère, j’avais peu de responsabilités et encore moins d’amis, alors je retournais quand même souvent au Saguenay, et dans ces aller-retour là, j’ai commencé à m’ennuyer de la musique de mon père. Je ne la détestais pas à outrance quand j’habitais là; elle faisait partie constante de l’atmosphère de la maison, alors j’aurais été mal pris de vomir à l’écoute de Bob Dylan ou Steve Earle. Mon père (encore maintenant, mais surtout à cette époque) était bien fan de ce qu’on appelle communément la musique Americana, ce genre de mélange de folk, country, rock, soul, R & B et autres courants un brin rustiques qu’on associe plutôt au sud des États-Unis, aux Appalaches et ainsi de suite. Bob Dylan, Neil Young, les Drive-By Truckers, Townes van Zandt, Guy Clark, Lucinda Williams et ainsi de suite — tout ça jouait en boucle chez nous, et j’ai donc jamais vraiment eu à m’y intéresser de plus près.
Sauf que là, ça jouait pu, et je me suis rendu compte que je faisais rapidement le tour des groupes de pop punk et skate punk que j’avais choisis comme étant à contre-courant de cela. Pis là, Cold as the Clay est sorti.
L’impact de Cold as the Clay sur la scène punk de type « orgcore2 » est sous-estimé, mais crucial; c’est à cause de Cold as the Clay que soudainement chaque chanteur de band en hiatus est devenu un troubadour country-punk acoustique. J’dis pas que Tim Barry (du groupe Avail) n’avait jamais joué de folk avant, mais sans Cold as the Clay, tu n’es pas soudainement capable de monter quelque chose de type Revival Tour dans lequel 6 — 7 dudes de bands partent sur une balloune folk-punk. Sans Cold as the Clay, pas de Gaslight Anthem, pas de Frank Turner, rien de tout ça... du moins, pas à l’amplitude que ça a eu. Évidemment que le folk-punk existait; évidemment que les Weakerthans, les Supersuckers, Billy Bragg, les Pogues, les premiers Against Me et ainsi de suite existaient, mais à mon sens il y a un avant Cold as the Clay et un après3.
Il faut dire que, même si Greg Graffin a expliqué en long et en large à la sortie du disque qu’il a grandi avec cette musique, il n’y a pas beaucoup de folk traditionnel dans le son de Bad Religion. Que Graffin présente un album sur lequel près de la moitié des chansons sont des versions d’airs traditionnels si traditionnels que personne ne sait qui les a écrits, c’est un peu surprenant si l’on considère qu’il aurait pu rajouter des banjos à 20th Century Digital Boy et vendre sensiblement le même nombre d’albums à exactement le même public. (Je ne sais pas à quel point Graffin a diversifié son public avec ça, mais il a au moins vendu un disque à un membre du public qui se câlisse de Bad Religion : mon père.)
Plus de 20 ans plus tard, cependant, force est d’admettre que même si Graffin est potentiellement un crack de ce type de musique, la chose qui transparaît le plus dans Cold as the Clay, c’est qu’il aime beaucoup Doc Watson. J’irais même jusqu’à dire que « la musique avec laquelle il a grandi » pourrait juste être la double compilation The Essential Doc Watson, parue sur Vanguard en 1973. Je le sais, parce que moi aussi, j’ai grandi avec Doc Watson, pis avec un peu d’analyse, je constate que Graffin ne se casse pas trop le bécyk avec les arrangements. En fait, quatre des cinq chansons traditionnelles qui apparaissent ici ont été faites par Doc Watson, chose qui ne m’était pas nécessairement évidente à l’âge de 19 ans. Si ça se trouve, la raison pour laquelle je trouvais ça aussi bon et radical est que… je connaissais déjà ça.
Graffin n’a certainement pas le cred de Doc Watson, un picker aveugle natif de la Caroline du Nord qui a toujours exercé une influence sur la scène folk /roots / bluegrass / Americana/ whatever sans jamais vraiment devenir une vedette sauf pour les estis de nerds qui font des infolettres de musique, mais le fait est que ses performances des chansons traditionnelles sont plutôt bonnes. Avec l’appui de tous les membres des Weakerthans sauf John K. Samson, Graffin recrée des versions assez fidèles de ces chansons. On y trouve la murder ballad Omie Wise dans lequel le narrateur nous explique comment John Lewis a assassiné la jeune Naomi « Omie » Wise sur le bord de la rivière, un endroit populaire pour tuer ta blonde dans les murder ballads. La version est tellement similaire que je soupçonne que Graffin a juste googlé « doc watson omie wise tabs » mais bon, y’a pire.
Little Sadie est également une murder ballad à propos d’abattre ta blonde; plus enjouée (!) et agrémentée d’un banjo, elle ressemble toutefois comme deux gouttes d’eau à la version de Watson et pas mal moins comme les versions que vous avez probablement entendues avant sur des disques de Mark Lanegan, The Sadies et même Johnny Cash, qui en font une version un peu modifiée et beaucoup plus iconique sous le titre de rien de moins que Cocaine Blues4. On remarque tout de suite que l’approche de Graffin diffère radicalement entre les chansons qu’il a écrites et celles qu’il reprend; ces dernières sont « pickées » tandis que celles qu’il a écrites sont « strummées » de manière plus sommaire et plus ancrées dans le rock traditionnel. Ce serait plutôt difficile de reprendre Talk About Suffering (la troisième chanson traditionnelle, présentée ici avec ajout de Jolie Holland aux chœurs, et la première sélection trad qui n’est à propos de tuer ta prétendante avec une roche) avec le traditionnel setup guitare électrique/ basse électrique / batterie, mais les chansons de son cru se rapprochent tout de même beaucoup plus d’un son punk rock traditionnel5.
Ceci dit, ce sont quand même de bonnes tounes. Si tu me disais que Don’t Be Afraid To Run et The Watchmaker’s Dial sont des B-sides obscurs de Steve Earle ou Jason Isbell (Graffin mentionne spécifiquement Gram Parsons, Neil Young et The Band comme des influences sur l’album, qui, en toute franchise, est absolument dans le champ), je te croirais. Vingt ans plus tard, je dois dire que Cold as the Clay me semble pas mal moins radical comme proposition qu’à l’époque. Il faut dire que j’ai passé 2007 à 2012 à aller à l’Esco et au Divan Orange chaque semaine voir des dudes avec des barbes et des chemises carreautées faire essentiellement exactement ce que Graffin fait ici, sans particulièrement changer la recette ou l’améliorer.
CBC Radio Broadcast Recording — End of a Perfect Day
J’ai déjà expliqué l’origine de ces disques de la CBC dans une infolettre précédente, mais si jamais ça ne vous tente pas de retourner voir, voici un survol rapide. Après la création des règlements de contenu canadien au milieu des années 70, la CBC/Radio-Canada se sont assuré de toujours avoir du contenu canadien en backup en enregistrant eux-mêmes des artistes émergents/des formations créées en studio qui faisaient presque exclusivement de la musique ultra-accessible. C’est un peu le contraire des Peel Sessions de John Peel. Peel voulait faire découvrir des nouveaux groupes avec des sons peu communs dans le mainstream; les CBC Radio Broadcast Recordings voulaient engager des musiciens de session pour faire une version instrumentale d’une toune de Stevie Wonder en baissant le funk de 30 %.
J’ai été obsédé par ces disques pendant une longue période de ma vie, période qui coïncidait avec le fait que tout le reste de la terre se câlissait de ces disques. Ils étaient donc faciles à obtenir pour 3 à 5 $, ce qui n’est malheureusement plus le cas. Certains des disques les moins intéressants sont encore peu recherchés, mais tout ce qui n’est pas musique de chambre/easy listening/pop vocale ultra-orchestrée est maintenant plus en demande. End of a Perfect Day est l’un des disques les plus en demande de la série, probablement parce que les quatre artistes dessus ont atteint une certaine notoriété depuis. En fait, trois des quatre artistes avaient déjà endisqué à l’époque; même si Dwight Druick, Michal Hasek et Robert Paquette n’étaient pas exactement des vedettes qui remplissaient le Centre Bell, ils étaient quelque peu plus établis que la majorité des artistes de la série Light Music l’étaient auparavant.
End of a Perfect Day arrive aussi dans une période de transition pour les enregistrements de la CBC. Il arbore une pochette avec une photo alors que la première run se limitait à un logo de la CBC et une pochette de couleur différente. Il affiche aussi une certaine constance au niveau du son des artistes mis en valeur; la première run pouvait aussi bien mettre un chanteur de country, de la musique électronique, un quatuor de flûte de pan et de la guitare classique sur la même galette. D’ici la fin des années 70, la série allait entièrement mettre de côté l’aspect compilation et faire des albums complets d’artistes comme Jack Tobi (qui?), Nimmons Plus Nine (qui?) et FM (groupe de prog avec le violoniste masqué Nash the Slash?).
Bref, tout ça pour dire que j’ai payé End of a Perfect Day plutôt cher pour un disque de cette série de CanCon mais relativement peu cher pour ce que ça va habituellement chercher. Ne l’ayant jamais écouté avant, je me suis dit qu’on pourrait découvrir ça ensemble (ou pas).
Michal Hasek and Sundog
Michal Hasek était un folkie de Toronto du type qui jouait presque exclusivement dans des cafés et sur des campus universitaires quand il a fait paraître son album éponyme sur son propre label, Naja, en 1974. Le premier disque de Hasek est plutôt bon dans le style, quoique pas nécessairement extrêmement différent de tout ce que les autres hippies ontariens faisaient à l’époque. Hasek a le mérite d’être accompagé par d’excellents musiciens sur ce premier opus, sur lequel on retrouve d’ailleurs Ron Nigrini, qui était du tout premier disque de la série LM dont il a été question ici il y a quelques mois. Hasek a sorti un deuxième album en 1978, après ces enregistrements de la CBC, que je n’ai jamais entendu, mais qui se nomme The Radio Play et me semble plus tirer sur le blues si je me fie à la tracklist.
C’est plutôt rare que les enregistrements de la CBC soient des tounes qui apparaissent ailleurs dans la discographie d’un artiste, mais les trois enregistrements ici apparaissent aussi (sous une autre forme, je présume — je n’ai pas de copie pour vérifier, mais je crois que ce n’est essentiellement jamais arrivé que la CBC laisse un artiste publier leurs enregistrements ailleurs) sur The Radio Play.
Premier constat : ceci ressemble beaucoup plus à du Paul Simon que le premier album de Hasek aurait pu suggérer. Deuxième constat : nous sommes en présence de reggae blanc. 1977 étant une année assez riche en découvertes pour les blancs vis-à-vis le reggae, je ne devrais pas m’en surprendre… et pourtant. Hasek débute sa section avec une version très Blues Brothers de Built for Comfort de Willie Dixon; sans être mauvaise, elle a beaucoup plus une vibe variét’ caf’ conc’ que blues. Il poursuit ensuite avec Sunshine Come, qui débute avec des femmes prononçant un rime rappelant un peu Iko Iko avant de se lancer dans un reggae pop d’annonce de Bacardi Breezer. La voix de Hasek est plaisante, mais un peu dénuée du caractère propre au blues ou au reggae; autrement dit, c’est un hippie blanc. Il retrouve plutôt ses vieilles pantoufles avec Home is Where the Heart Is, un doux folk qui ressemble à s’y méprendre à du Paul Simon.
Les trois tounes sont correctes, quoique un brin ambitieuses dans leurs inspirations. Je comprends que les violons et les bongos qui recouvrent le premier disque de Hasek étaient moins en vogue rendu en 1978, mais il y a tout de même une lissitude préfabriquée qui limite légèrement le bonheur.
Graeme Williamson
Graeme Williamson tombe dans une autre catégorie des artistes endisqués par la CBC — il fait sa première apparition sur disque, mais allait plus tard fonder le groupe culte torontois Pukka Orchestra, qui comme semble-t-il tous les groupes cultes de l’Ontario des années 80 et 90, fait dans un genre de folk-rock alternatif légèrement déjanté. Je ne connais pas Pukka Orchestra outre voir le disque ici et là dans les bacs, mais une écoute rapide de leur album de 1984 me suggère un peu Violent Femmes, un peu The Waterboys et aussi un peu des groupes de « comedy rock » de type Doug and the Slugs ou Moxy Fruvous. Bref, quelque chose de crissement canadien.
Les pistes de Williamson sont tout de même un brin avant-gardistes considérant le contexte. Williamson sonne un peu comme Tom Petty sur la première toune, End of a Perfect Day, agrémentée d’un jangle de guitare et de mandoline (c’est Ben Mink, prolifique violoniste canadien, qui joue la mandoline) plutôt plaisant. Walkin’ est plus standard, un country-rock aux accents de piano honky-tonk qui aurait sa place sur un disque de genre Poco ou des Ozark Mountain Daredevils, tandis que la dernière toune est une ballade de fin de soirée qui rappelle un peu Dylan dans les années 80. Un album complet de Graeme Williamson à ce stade de sa carrière serait sûrement un peu trop brun pour la ligue (impossible de pas voir le vieux manteau de suède hypothétique), mais trois tounes, ça se prend bien.
Dwight Druick
Dwight Druick a l’honneur d’être l’artiste sur cette compilation avec l’album solo le plus recherché par les collectionneurs. Son album Tanger, paru en 1980, est un classique du boogie/AOR québécois (faut dire qu’il n’y en a pas tant que ça), particulièrement pour sa version en français de Georgy Porgy de Toto. Au moment d’enregistrer ses trois pistes sur End of a Perfect Day, par contre, Druick est dans une période transitoire de sa carrière. D’abord connu pour un duo soft-rock/country-rock avec Kirk Lorange qui débute avec le nom May West avant de devenir Druick & Lorange (ça a le mérite d’être clair), Druick allait aussi œuvrer au sein du groupe disco-ish Minuit, dont la seule véritable particularité se loge dans le fait que leur seul album est paru en anglais et en français simultanément.
En fait, c’est définitivement la présence de Druick qui fait que End of a Perfect Day est aussi couru par les collectionneurs. Avant que quelqu’un mette des photos de la pochette sur un groupe Facebook il y a quelques années, End of a Perfect Day n’existait pratiquement pas sur l’Internet, et c’est comme source de pistes rares de Druick qu’il a été redécouvert.
L’apport de Druick à End of a Perfect sonnent exactement comme ce qu’elles sont : un artiste qui transitionne d’un soft rock commercial à un disco-boogie dansant tout autant commercial. Ca s’inscrit entièrement dans la mouvance yacht rock, style que j’apprécie surtout dans son inconfort et ses contradictions. J’aime plus le yacht rock quand il est le résultat de compromis étranges que quand il est le résultat de calculations maladives pour obtenir le son le plus dense et commercial imaginable. C’est le cas ici. Druick rocke un peu plus que nécessaire, mais s’intéresse quand même à certains aspects plus funky/dansants. Les trois pistes de Druick sont définitivement le point fort d’End of a Perfect Day.
Robert Paquette
Contrairement à ce que l’on pourrait penser à regarder l’omniprésence de ses disques dans les magasins de la métropole, Robert Paquette n’est pas québécois. C’est en fait un franco-ontarien natif de Sudbury (la place la plus franco-ontarienne) qui fait du folk relativement similaire à ce qui se faisait à l’époque au Québec; on retrouve clairement du Paul Piché, du Jim et Bertrand, du Harmonium, du Shawn Phillips (le plus québécois des Américains)… mais aussi ses concitoyens franco-ontariens Garolou et Cano dans son son. Je n’ai jamais particulièrement accroché à l’œuvre de Robert Paquette, mais la CBC l’aimait en esti — assez pour sortir une performance live au festival de jazz de Montreux sous le titre Europe en 1980. Force est d’admettre que c’est un esti de showman, mais les disques ne sont jamais aussi intéressants que cette performance live.
Paquette avait déjà deux albums et une autre apparition sur un disque de la CBC sous la cravate lors de la sortie d’End of a Perfect Day; les enregistrements de Paquette sous cette ombrelle sont ses seuls enregistrements en anglais. Il fait ici dans le folk-pop vaguement quétaine, plein de tapage dans les mains et de chœurs enjoués. Ce n’est pas gentil de dire ça, mais Laugh, Sing and Dance sonne beaucoup comme la toune promo Il fait beau dans le métro, en plus de se pimenter de solos de saxophone à la David Sanborn. Ce n’est pas juste de la musique commerciale au sens propre du terme; c’est comme de la musique publicitaire. Ça ne m’étonnerait pas que ce soit exactement à ces fins qu’elle a été utilisée au sein de la CBC; je mettrais un petit dix qu’il y a au moins déjà eu un pitch pour une émission intitulée Laugh, Sing and Dance.
Les deux autres tounes sont vraiment moins agressantes, mais beaucoup plus canadiennes. La dernière, Wandering Hobo, ressemble vraiment beaucoup à The Weight de The Band.
En conclusion, la réputation de End of a Perfect Day, obtenue presque exclusivement par la présence de trois (bonnes) tounes de Dwight Druick, est un peu surfaite dans l’absolu, mais dans le monde extrêmement inégal des disques de la CBC, c’est quand même un succès.
Still House Plants - If I Don’t Make It, I Love U
Ce serait facile de penser, à regarder le paysage de la musique populaire en ce moment qu’il ne se fait plus rien de nouveau. Tout semble exister en relation avec ce qui existait avant, un symptôme de l’absence d’une monoculture populaire. Avant l’avènement de l’Internet, des “nouveaux” styles de musique arrivaient avec une certaine constance; maintenant que tout le monde peut entrer en contact avec d’autres gens qui aiment exactement ce qu’ils aiment et former une scène hermétique autour de ça, il n’y a plus rien qui monte la surface… du moins, pas dans les médias traditionnels, qui se meurent de toute façon, mais ne laissant plus rien à leur place.
Ce que je décris là est plutôt une perception; je pense qu’il est absolument impossible de dire que la musique populaire a stagné quelque part quand les gens dans la fin trentaine / début quarantaine ont arrêté de lui prêter attention et je pense aussi que dans le monde de la musique rap et électronique, il y a constamment des nouveaux sons et des nouvelles approches. Il va sans dire qu’il est extrêmement peu probable que le rock, arrivé comme un cheveu sur la soupe pour tasser le classique, le jazz de big band et la chanson au milieu des années 50, reste la forme dominante de musique populaire pour le reste de notre existence. N’en déplaise aux boomers qui commentent des récits-fleuves sur le jeunesse en dessous d'une vidéo pixelisée de Led Zeppelin uploadée il y a 14 ans, le rock est devenu le jazz. Il ne va jamais s’en aller, des kids vont encore en écouter, chaque 10 - 15 ans il regagnera en popularité, mais son règne au top de la culture est terminé.
Il aurait été plausible d’en croire le contraire sur Twitter il y a quelques mois. Il y régnait alors deux tourbillons distincts de hype pour deux albums de rock parus quasi simultanément. De notre bord de l’océan, on s'époumonait à propos de Diamond Jubilee, le plus récent album de Cindy Lee, un projet de “hypnagogic drag queen pop” de Patrick Flegel, anciennement du groupe canadien Women. Diamond Jubilee n’était rien de moins que le septième album de Cindy Lee, mais l’engouement cette fois était absolument hors de contrôle. Un album de plus de deux heures disponible seulement via un lien YouTube ou un site GeoCities archaïque, Diamond Jubilee s’est ramassé les meilleures critiques de l’année de par l’Internet; hélas, une tournée débutée avec le groupe Freak Heat Waves s’est désagrégée après quelques dates, et certains soupçonnent la fin du projet. Je n’ai pas encore écouté le disque de Cindy Lee sauf quelques bribes et, bien qu’extrêmement ambitieux, Diamond Jubilee s’inscrit un peu dans le registre de la pop kaléidoscopique de type Something / Anything? de Todd Rundgren. C’est un disque qui touche à tout, tout le temps, de toutes les directions possibles. Ce n’est pas nouveau, vu que ça peut aussi être qualifié de rétro.
La sortie du disque de Cindy Lee a fait de l’ombre à L’AUTRE disque ultra-hypé de 2024, If I Don’t Make It, I Love U du trio britannique Still House Plants. Il était beaucoup question de ce disque pendant quelques semaines plus tôt cette année, et à ma grande surprise, avant que Pitchfork y aille d’une critique, personne n'avait vraiment choisi de décrire comment la musique sonnait. Cet opus de Still House Plants inspirait les critiques à faire de la critique dense et fleurie; il y a de la place pour ça dans le monde, je pense, et la critique de type purement “guide du consommateur” (je suis coupable d’en faire la moitié du temps) a des limites assez évidentes, mais le fait est qu’il m’a fallu écouter l’album pour avoir même le soupçon d’une idée de comment ça sonnait. Est-ce que Still House Plants feraient de la nouvelle musique tellement nouvelle qu’elle ne peut être décrite?!
À la base, non. If I Don’t Make It, I Love U tombe sous l’éventail de la musique expérimentale ou du post-rock dans la mesure où ils expérimentent avec les codes de ce que nous acceptons généralement comme les codes du rock. Ils ne sonnent pas pantoute comme Godspeed, mettons, mais ils existent quand même à l’intérieur du même paradigme. Ils sont composés d’un drum, une guit et d’une chanteuse; c’est non seulement le band entier mais les seuls instruments entendus sur l’album du début à la fin. Il n’y a pas de jeu de pédale de distorsion; la guitare est branchée directement dans l’ampli et le guitariste ne joue pas vraiment de riffs à proprement parler. En fait, dès que j’ai commencé à écouter la première toune sur l’album pour en parler, je me suis rendu compte que même si ça sonne ostensiblement comme de la musique, c’est beaucoup plus simple de décrire ce que ce n’est pas.
En fait, ce qui définit le plus le son de Still House Plants, c’est leur approche à l’improvisation. C’est rare que de la musique avec des paroles soit improvisée à l’extérieur du rap, mettons, ou des jams bands; généralement, ce sont les parties instrumentales de la chanson qui s’étirent et s’éternisent selon les désirs et le momentum des musiciens. Still House Plants font… autre chose. Il y a clairement des moments clés dans chaque toune qui aident les musiciens à se situer; tout ce qui arrive à l’extérieur de ça est improvisé. Bien que l’improvisation nous suggère automatiquement des éléments de jazz, il n’y a pas grand-chose de jazzy dans Still House Plants.
En fait, ce qui surprend le plus est l’absence des dynamiques habituelles de musique; ce n’est ni agressif (quoique ça pourrait sans doute être agressant pour certains) ni planant. Ce n’est pas reposant, mais je ne qualifierais pas ça de bûchage. La chanteuse, qui chante généralement assez bas, ne se fie pas nécessairement aux concepts traditionnels de la mélodie, et le reste du band doit suivre. Parfois, on dirait que le disque est warpé ou que le tourne-disque est en train de rendre l’âme, alors que la guitare ralentit et que la voix change rapidement de pitch. D’autres chansons sont beaucoup plus accessibles, rappelant une version épurée et un peu champ gauche de la neo-soul des années 90.
“Mais là,” me dites-vous, “ça a l'air atroce. Ce que tu décris semble comme un capharnaüm duquel il n’y a pas d’issue. Pourquoi voudrais-je écouter ça, et pourquoi est-ce que des gens snobs disent que c’est bon? Y’a pas un nouveau disque des Black Keys qui est sorti? Pourquoi ne nous parles-tu pas de ça à la place?”
Écoutez.
C’est vrai que Still House Plants n'est pas ce qu’il y a de plus facile à apprécier dans ce monde. Vous n’allez jamais entendre ça sortir d’une Civic à la lumière rouge; peu de kids du cégep vont en écouter assis par terre dans leur appartement du Plateau alors qu’ils boivent du Nicolas Laloux dans des vieux pots de moutarde. Quand j’étais ce genre de jeune wannabe cool avec une idée de ce qui était cool et dans le vent, tous les bands de guitare sonnaient essentiellement pareils. À chaque fois que quelque chose de nouveau sortait, il fallait automatiquement dire à quel autre band de guitare et de cheveux ce nouveau band nous faisait penser. Il y avait ben du bon stock, mais il n’y avait rien qui sonnait comme Still House Plants qui a reçu, à ma connaissance, les plus hauts éloges imaginables… donc il y a certainement quelque chose qui se passe.
Je les ai vus pour la dernière fois au Métropolis avec Off With Their Heads et les Bouncing Souls en 2010 mais il me semble que mon souvenir tourne surtout autour de OWTH.
Se dit des groupes favorisés par Punknews.org, site de nouvelles punk (le titre le dit) particulièrement populaire de 2005 à 2015 - dans les piliers du orgcore, on retrouve Hot Water Music, The Lawrence Arms, Dillinger Four, The Menzingers, Jawbreaker, Leatherface, Off With Their Heads, The Loved Ones et, parfois avec un certain regret, Alkaline Trio
Quand je dis des énormités comme ça, je veux plutôt dire que ces choses-là existeraient sans doute, mais n’aurais pas la portée qu’elles ont eues. Le zeitgest, genre.
À noter que ceci n’a rien à voir avec L’AUTRE pilier du folk du même titre - celle qui est genre “cocaine runnin’ around my brain” faite par Dave van Ronk, Davey Graham, Townes van Zandt, Nick Drake, etc. Je mentionne ceci parce qu’il y a 0 chances que cette version-là ne revienne pas un jour dans l’infolettre.
Après un deep dive de genre deux heures, j’ai constaté ceci: la Cocaine Blues qu’on associe à Johnny Cash est un relecture de Little Sadie sous format “western swing” popularisée à la fin des années 40, tandis que l’autre a ses origines dans le blues.