Tout ce que j'écoute 14/10/2023
Chier sur la nostalgie avant d'embarquer dans un grand trip de nostalgie supposément tout sauf nostalgique ou: l'art d'être conséquent
Jeremy Spencer — S/T
J’ai une relation particulière avec ce disque : quand je le vois dans un bac, je suis toujours excité parce que je pense que je le cherche. Inévitablement, je l’écoute et je me demande pourquoi je cherchais ça en particulier; cette ritournelle dure depuis plus de dix ans, alors je me suis dit que j’allais écrire dessus afin de peut-être calcifier l’idée que, dans le fond, je n’aime pas vraiment ça et arrêter de me créer des attentes à chaque fois que je le croise.
Habituellement, c’est ici que je donne un peu de contexte sur l’artiste, que je dresse un portrait de leur carrière avant l’album en question et de ce qui se passait autour d’eux à l’époque. Jeremy Spencer est un membre fondateur de Fleetwood Mac, alors je vais faire fi de cette consigne parce que juste démêler le charabia incompréhensible qu’est le lineup et l’historique de Fleetwood Mac pourrait prendre une infolettre entière. Ce qu’il faut savoir, c’est que Spencer a été dans la première incarnation très bluesée de Fleetwood Mac et a quitté peu de temps après avoir enregistré cet album, le premier album solo par un membre de Fleetwood Mac à voir le jour. Jeremy Spencer était le genre de « wildman » de Fleetwood Mac tout en étant très religieux; c’est d’ailleurs pour se joindre à une secte pas claire qu’il a quitté le groupe. Son apport aux disques de Fleetwood Mac était apparemment assez limité, mais il se lâchait lousse en concert. C’est d’ailleurs à lui qu’on doit Somebody’s Gonna Get Their Head Kicked In Tonight, la chanson de Fleetwood Mac la plus reprise par des groupes punk de l’histoire (un palmarès pas super long, quand même).
Spencer est appuyé par pas mal l’entièreté du lineup de Fleetwood Mac à l’époque sur cet a;bum, mais Spencer ne fait pas pantoute dans le blues rock; en fait, ce que Spencer fait ici est de loin le pire type de détritus musical engendré par les boomers à cette époque : du pastiche 50s. Déjà complètement convaincus que c’était mieux avant (il y a 10 ans), bon nombre de rock stars ont profité des succès de leur musique rock (musique nouvelle et actuelle à l’époque) pour immédiatement slider des pastiches de Little Richard, Elvis, des Everly Brothers, Jerry Lee Lewis et ainsi de suite dans leur œuvre. (Encore chanceux que Spencer, même s’il est britannique, se tienne relativement loin de l’obsession parallèle des Britanniques à la même époque : le pastiche de music-hall!)
Loin de moi l’idée de condamner les géniteurs du rock « n roll de cette époque — c’est bon du Carl Perkins, du Bo Diddley, du vieux Elvis… mais ça existe! Si je veux écouter ça, je vais écouter ça — pas un gars sur l’acide qui se trouve fucking drôle de faire exactement ça, le plus près de l’original, sans varier une seconde! Spencer est, en plus d’être pas très original dans ses compositions qui singent ses héros, assez doué pour l’imitation et les mimiques, ce qui rend l’album entier un exercice de “la pognes -tu, la pognes -tu” des plus rébarbatifs. Il a quand même une très grande portée de voix, passant de falsetto de teen idol à blues rauque à travers l’album, mais c’est difficile d’y entendre autre chose que de l’imitation. (J’ai dit qu’il n’y avait pas de blues, mais ce n’est pas exactement vrai; la troisième piste est un blues tout croche avec des paroles peu intelligibles qui sont précédées d’une fausse introduction qui est clairement censée déculotter quelqu’un.)
La meilleure toune de l’album est Take A Look Around Mrs. Brown (Sic), la seule toune qui ne semble pas directement inspirée par les années 50; en fait, ca sonne tellement comme du Syd Barrett entrecoupé de I Am The Walrus (y’a même un mantra répété de Hare Krishna entrecoupé de goob-goob-kajoob) que j’imagine que c’est voulu, mais son inclusion détonne doublement alors qu’elle est entourée de parodies tièdes de Dion and the Belmonts. Aussi au programme, une parodie des Beach Boys et/ou de Jan & Dean, chose qui est quand même assez facile à faire quand y’a tellement de chansons sur le surf dans lesquelles puiser.
Autant que j’aime découvrir des petites scènes, des petits courants culturels et des sous-cultures à même le monde de la musique, autant que les yeux me virent dans la graisse de bine quand arrive le temps de plonger pleinement dans la musique des années 50. C’est peut-être à cause que j’ai trop été exposé à ça par la culture populaire; après tout, c’est la musique et la culture des Coppola, Zemeckis et Spielberg du cinéma de mon enfance, et si tu regardais des films dans les années 90, la majorité des bals de finissants se passaient en 1957. Y’a une uniformité et une espèce de nostalgie plastique inaccessible à ce son qui m’empêche certainement d’embarquer dans le 50 s revival, surtout quand c’est fait avec autant de… respect? Jeremy Spencer est très bon à singer ces styles, mais je n’aime pas assez ça pour en demander plus que ce qui existe déjà.
C’est clair que Spencer a du fun à faire ceci et à imposer les petits détails qui différencient ses imitations de Frankie et de Fabian, mettons; c’est le fun de faire ça, j’pense, comme c’est le fun d’aller au karaoké et d’essayer de sonner le plus possible comme la personne qui chante vraiment la toune, mais personne ne pense vraiment à endisquer ça. Les gens qui endisquent cette dompe-là, je ne suis pas certain de ce qu’ils pensent accomplir. C’est un peu ça, le problème fondamental avec des trucs comme Jeremy Spencer — ça l’air le fun à faire, mais je sais pas à quel point c’est nécessaire que le public général puisse tomber là-dessus — surtout quand c’est ton premier album solo et non pas une espèce de niaiserie pitchée par la tête d’un public d’avertis. Visiblement, Peter Green continue à gagner le combat de “meilleur album solo pas rapport par un membre fondateur de Fleetwood Mac1”.
Si vous aimez : Supersnazz des Flamin’ Groovies, Rock ‘n Roll de John Lennon, Cruising with Ruben and the Jets de Frank Zappa, Gene Vincent, Little Richard, Dion, etc.
Où t’as pogné ça?
J’ai dû l’écouter sur YouTube mais ces écoutes furent inspirées par une copie dans les nouveaux arrivages du Death of Vinyl qui m’a fait de l’œil la semaine dernière.
Est-ce sur Spotify?
Même pas. Il est sur YouTube par contre.
Vas-tu l’acheter?
Non, crisse! ARRÊTE DE ME HANTER, JEREMY SPENCER.
Gavin Friday and the Man Seezer - Each Man Kills The Thing He Loves
Je lisais un prépapier d’un show de Nick Cave paru dans la Presse le 25 septembre 1990 dans lequel Alain Brunet décrit Cave comme étant prétentieux et faisant beaucoup de sparages dramatiques — ce que je ne conteste pas, mais qui me semble plus un cas de feature, not a bug — comme Peter Murphy (de Bauhaus) et… Gavin Friday.
C’est qui ça, Gavin Friday? Comment fut-il déjà nommé dans la même phrase que Nick Cave et pourtant, je n’ai pas la moindre idée de qui c’est?
Shame on me de ne pas connaître les noms des membres des Virgin Prunes par cœur, parce que Gavin Friday est en fait le chanteur des Virgin Prunes. (C’est aussi le meilleur ami et voisin de Bono, ce qui est bien malheureux, mais, bon, hein.) C’est certain qu’en 2023, les Virgin Prunes sont tout de même pas mal moins discutés que The Birthday Party ou Bauhaus, mais en 1990, ils étaient sur un pied d’égalité, visiblement. Gavin Friday n’avait qu’un seul album solo de paru en 1990 quand il fut comparé à Nick Cave, mais je vois quand même d’emblée d’où part la comparaison. Les deux viennent d’un groupe de post-punk, les deux ne sont pas américains, mais pas britanniques (Friday est irlandais), les deux font dans le genre de cabaret décalé et l’esthétique un peu gothico-morne mais… Gavin Friday souffre tout de même plus d’une espèce de patine respectable et mature très propre à l’époque juste avant le grunge.
Je vais essayer de m’expliquer. Pour moi, il y a quelque chose de très « Outremont » à la culture populaire alternative de 1989 à 1991. C’est une période où le rock se perd un peu, où on prend littéralement toute la terre et on en fait un genre de musique qui englobe tout. Le rock n’a pas d’identité et, pour la première fois depuis les Beatles, les arénas sont remplis d’artistes qui ont des enfants de 10 ans comme public cible. Le college rock s’essouffle, les Replacements sont rendus à ouvrir pour Tom Petty, tout le monde badtrip à propos du rap et le jazz et la musique expérimentale sont discutées dans le mainstream (ça parle d’Einsturzende Neubauten dans le journal, genre), mais toujours avec une espèce de position de distance. On aime les choses qu’on aime parce qu’on aime les aimer; tout s’observe à distance. Les CDs commencent à supplanter complètement les vinyles; c’est d’ailleurs assez facile de voir quel artiste était considéré comme « mature » ou ayant un public de vieilles biquettes si leur album de 1990 existe en format vinyle.
Il y a donc, à cette époque, beaucoup de musique posée et mature faite par des artistes établis qui désire s’ouvrir à un plus grand public. Il y a beaucoup d’artistes un peu flash-in-the-pan qui sont poussés par les labels avec un son plus rootsy et groundé… et il y a des artistes établis qui sont poussés sur un public qui n’allait essentiellement jamais être le public de cet artiste. Il y a un peu de tout ça dans cet album de Gavin Friday qui arbore une production de Hal Willner. Hal Willner représente assez bien ce courant « mature » de la musique alternative de l’époque. Surtout connu pour ses albums-hommages à différents artistes, Willner savait bien s’entourer. Pour un hommage à Monk, il a recruté Steve Lacy, John Zorn, Dr. John et Donald Fagen tandis que son hommage à la musique de Kurt Weill compte Lou Reed, John Zorn, Tom Waits, Todd Rundgren et Van Dyke Parks parmi ses collaborateurs.
Aller chercher Willner et des musiciens chevronnés comme Marc Ribot et Bill Frisell n’est pas une coïncidence, parce que Each Man Kills The Thing He Loves entre parfaitement dans ce créneau de musique juste assez pétée pour te conférer un statut de personne de bon goût, mais assez straight que tu peux inviter tes beaux-parents à souper pis écouter ça sans qu’ils se défenestrent. Ce n’est pas implausible, en écoutant ça, d’imaginer que Friday peut effectivement avoir un passé de post-punk un peu expérimental, mais ce que c’est, c’est du cabaret/crooner gothico-BCBG, un mélange de Tom Waits circa Frank’s Wild Years2, Scott Walker, de Kurt Weill, de musique d’accordéon française d’annonce de fromage et de Jacques Brel.
C’est un mélange qui ne m’est pas nécessairement infect; j’aime bien les trois artistes susmentionnés et je n’ai pas détesté la petite période au tournant des années 2000 où ceci est redevenu à la mode avec The Tiger Lillies, the Dresden Dolls ou encore Franz Nicolay… mais a little goes a long way, dans ce cas spécifique. Brunet avait certainement capté quelque chose en décrivant des sparages — souvent, Each Man Kills The Thing He Loves atteint un entre-deux vraiment douteux entre la livraison torturée de Nick Cave et le genre de shit de dur au cœur tendre surfait et surlivré que j’associe à, genre, Bryan Adams.
Sans avoir une production hyperléchée d’étiquette majeure de l’époque, Each Man Kills The Thing He Loves me semble extrêmement dénué de personnalité. Tout semble emprunté — à Cave, à Bowie, à Scott Walker et à Brel — et rien ne semble particulièrement habité. On dirait souvent que Friday est en train de passer des auditions pour un genre de American Idol visant à couronner le prochain dude avec un chapeau melon pis une veste pinstripe qui va jouer du piano à queue dans un bar à cocktail goth peu fréquenté du Quartier Latin.
Ceci dit, je comprends quand même la comparaison avec Nick Cave. Quelqu’un qui n’aime pas Nick Cave doit entendre quelque chose du genre en l’écoutant. Ceci dit, je suis certain que Nick Cave a entendu ça parce que Friday fait un cover de Death is Not The End de Dylan qui ressemble ÉNORMÉMENT à la version que Cave allait faire sur Murder Ballads six ans plus tard.
Si vous aimez : Supply & Demand - Songs By Brecht/Weill & Eisler de Dagmar Krause, les disques de Lewis Furey, Scott 4 de Scott Walker, Aladdin Sane de David Bowie, If I Die, I Die des Virgin Prunes, Frank’s Wild Years de Tom Waits, The Good Son de Nick Cave and the Bad Seeds, la compil Lost in the Stars: The Music of Kurt Weill, Strange Weather de Marianne Faithfull
Où t’as découvert ça?
Techniquement, l’idée m’est venue en lisant perpétuellement les pages Arts et spectacles de vieux journaux.
Est-ce sur Spotify?
Vas-tu l’acheter?
Je ne pense pas. Il me semble que j’ai déjà eu le disque des Virgin Prunes pis que je ne l’ai pas gardé, ce qui me semble maintenant de la folie considérant que je viens de le réécouter et ça arrache tout comparé à Each Man Kills The Thing He Loves.
Wednesday - Rat Saw God
La fonction « Découvertes de la semaine » est assez futile pour moi; l’algorithme décèle quand même des choses qui sont dans mes cordes, mais comme je n’écoute pas toute ma musique sur Spotify, il décèle surtout des choses que j’ai déjà chez nous. Ce n’est pas parce que je n’écoute jamais Transformer de Lou Reed sur Spotify que ça m’est inconnu; j’apprécie le geste pis toute, chère intelligence artificielle, mais on n’est pas encore là. Reste qu’en 2023, les petits robots en vélo stationnaire qui font fonctionner Spotify m’ont quand même fait découvrir MJ Lenderman par le biais de son album Ghost of Your Guitar Solo, genre de country-rock lo-fi bruyant entre Neil Young et Royal Trux. Je ne savais pas que MJ Lenderman était dans un band avant que Rat Saw God sorte; c’est là que j’ai constaté que j’avais déjà distraitement écouté du Wednesday et que ça ne m’avait pas marqué à outrance.
MJ Lenderman ne fait que jouer de la guit dans Wednesday3, la « frontwoman » étant une certaine Karly Hartzman, qui a un timbre de voix qui rappelle Aimee Mann mais aussi — à des moments précis — Kim Gordon et Courtney Love. Vous l’aurez deviné — Rat Saw God s’inscrit dans la lignée des jeunes bands qui sonnent comme des vieux bands qui faisaient de la musique de jeunes à l’époque où ils étaient eux-mêmes jeunes. Facile de déceler des textures des Pixies, de PJ Harvey (surtout de PJ Harvey, j’dirais), de Sonic Youth, de Dinosaur Jr. et des Breeders dans Rat Saw God, mais c’est aussi assez évident que Hartzman puise dans d’autres influences. Les Drive-By Truckers sont mentionnés textuellement et des références à Bill Callahan et Loudon Wainwright III sont tissées dans les textes, ce qui veut dire que ce band est influencé à la fois par ce que j’écoutais dans la cave en secondaire 5 et ce que mon père écoutait en haut en même temps.
Ceci est, pour utiliser le langage des jeunes, du Alex Rose shit.
La face A de l’album est plus agressive/plus décousue un peu, mélangeant des riffs de type Sonic Youth avec le noise rock et du hurlage (surtout sur la deuxième toune, Bull Believer, huit minutes de cris que Marilyse a qualifié de « musique de souffrance » ou quelque chose du genre); le twang country-rock de Hartzman est moins mis de l’avant ici, quoiqu’il y a quand même quelques chansons downtempo qui ne sont pas sans rappeler les contributions de Shonna Tucker aux susmentionnés Drive-By Truckers, l’influence se faisant le plus sentir sur la dernière toune de la face A, la straight-up alt-country Chosen to Deserve. On passe aussi dire bonjour au slowcore avec la toune What’s So Funny, quoique je dirais que la meilleure description de genre pour l’album serait « Americana toastée des deux bords. »
Les paroles sont assez tranche-de-vie; ça parle de vivre dans le milieu de nulle part et de faire de la drogue et de s’emmerder (du Alex Rose shit) et d’être ami avec des tout croches de manière assez simple. Les sujets ressemblent à du Hold Steady, sans les sparages poétiques du bon Craig Finn. (Somebody called the cops on Mandy and her boyfriend / When they busted in they found that her house was a front for a mob thing / They pulled guns and cocaine from the drywall wrapped in newspaper / We gathered in the tall grass and watched unblinking as they cuffed' em /And then hauled 'em away4) Bref, tout cela est bien bon et manie très bien les différentes teintes de ses styles tout en créant une courtepointe assez uniforme malgré tout.
Je crains énormément cette idée qu’après 28 ans (ou quelque chose du genre), les gens cessent de vouloir découvrir de la nouvelle musique et continuent d’écouter ce qu’ils ont toujours écouté. Je travaille ben fort là-dessus, mais des fois quand je tombe sur un nouveau band qui sonne comme un vieux band, j’ai l’impression d’être comme un gars avec une calotte pluggé sur CHOM à longueur de journée qui chiale que la seule bonne musique rock qui existe en 2023, c’est fucking Greta van Fleet. Wednesday est un nouveau band qui sonne, effectivement, comme plein de vieux bands, mais ce n’est pas le Greta van Fleet des bands sur Homestead Records. Partez la tête tranquille, mes enfants.
Si vous aimez : Brighter Than Creation’s Dark des Drive-By Truckers, Ghost of Your Guitar Solo de MJ Lenderman, Doolittle des Pixies, Car Wheels on a Gravel Road de Lucinda Williams, Sonic Nurse et Daydream Nation de Sonic Youth, You’re Living All Over Me de Dinosaur Jr., Western Cum de Cory Hanson, les trois premiers PJ Harvey, Lost in Space d’Aimee Mann, Live Through This de Hole, Attempted Mustache de Loudon Wainwright III, l’album éponyme de Loïc April, To The Land of Milk and Honey de Sally Timms, Transaction de novo de Bedhead
Où t’as pogné ça?
Au Vacarme!
Est-ce sur Spotify?
Vas-tu l’acheter?
Déjà fait!
Yesterday’s Ring - Diamonds in the Ditch
Je m’aventure quand même dans un territoire touchy ici — non seulement c’est un disque qui a quand même été important dans ma vie, mais c’est légèrement plausible que les gens qui ont travaillé sur ce disque se ramassent à lire cette infolettre. Ce ne serait pas tellement grave si je m’apprêtais à écrire quelque chose de dithyrambique qui relève d’un communiqué de presse, mais, hélas, je voudrais aussi explorer comment mon rapport à ce disque a changé avec les années, et c’est possible que je dise des choses comme « finalement, cette toune est un peu de la marde ». Les artistes sont les premiers à dire que leurs tounes sont de la marde, mais ils apprécient peut-être moins quand un plouc qui reste à quatre coins de rue de chez eux le dit.
Bref, je m’excuse peut-être d’avance aux membres de Yesterday’s Ring.
Yesterday’s Ring est un « side-project » d’une grande majorité des membres du groupe punk montréalais The Sainte Catherines, mais à ce que je sache, Yesterday’s Ring (aussi connu sous le nom de Yesterd) a vu le jour très peu de temps après les Sainte Catherines; on pourrait donc presque parler de projet parallèle. Ostensiblement un groupe de country, le son de Yesterday’s Ring reste quand même assez punk; dans les années 80, on aurait appelé ça du « cowpunk », mais, heureusement, plus personne n’utilise ce terme. Quand j’ai pris connaissance de l’existence des Sainte Catherines quelque part à la fin de 2005, Yesterday’s Ring était en genre de dormance; je savais que ça existait, mais le groupe était en plein dans l’ère Dancing for Decadence, ayant signé sur Fat Wreck Chords et se retrouvant sur des grosses tournées.
(D’ailleurs, laissez — moi donc faire mon vieux pet ici et essayer de déduire quelque chose5. La première fois que j’ai vu Les Sainte Catherines, c’était dans le cadre d’une tournée Fat Wreck soit au Club Soda ou au Métropolis. Je me souviens que c’était au mois de décembre parce que ma session de CÉGEP venait de se terminer et je suis parti au Saguenay peu de temps après. Je me souviens aussi d’avoir rencontré un dude qui allait devenir mon ami, mais qui est seulement devenu mon ami en janvier suivant quand il était dans mon cours de français. Dancing for Decadence est sorti en mars 2006 pis j’ai fini le CÉGEP à l’été 2006, donc Dancing For Decadence n’était forcément pas sorti à ce show, qui dans mon souvenir était avec Against Me!. Mudie était en bedaine en dessous d’un veston léopard. Apparemment, Against Me! ont joué à Montréal le 6 décembre 2005, mais je ne sais pas qui était avec eux. Est-ce que quelqu’un qui buvait moins de bière dans des shows punks à l’époque a la réponse?!)
Anyway, tout ça pour dire qu’après l’expérience Fat Wreck, il y a eu beaucoup, beaucoup plus de shows de Yesterday’s Ring en ville. Il faut dire que la scène punk de l’époque était devenue très folk/country avec l’émergence d’albums solos de gars comme Chuck Ragan et Tim Barry; c’était devenu correct d’assumer ses influences de guitare sèche sans devenir un genre de Crooked Fingers ou Supersuckers. L’uniforme des gars aux shows était presque exclusivement des chemises carreautées en flanelle pis des tites tuques, même quand il faisait 30 dans le bar; l’avènement de trucs comme le Revival Tour ou la popularité d’un groupe comme Gaslight Anthem qui assumait pleinement ses influences Springsteeniennes avaient bien mis la table pour un retour de Yesterd en tant que plus qu’un side project. C’était même rendu correct d’aller à un show punk avec des jeans bleus.
Je ne sais pas combien de fois j’ai vu Yesterday’s Ring en show, mais je pense que je peux dire avec certitude que c’est le band que j’ai vu le plus souvent en show. J’aimerais pouvoir vous expliquer pourquoi, parce que des fois, moi et mon ami Shawn6, on allait au show à Montréal pis au show à Laval le lendemain. Je pense qu’avant ça, je n’avais jamais vraiment pu trouver un groupe local qui semblait comme « le mien ». Il aurait probablement été sage d’écouter plus de musique locale en générale — contrairement aux gens que je connais, je n’ai jamais eu de passe Malajube, Karkwa ou même Loco Locass7… quoique j’ai eu un regrettable flirt avec les Cowboys Fringants —, mais il n’y avait rien qui m’interpelle de ce sens. C’était probablement la première fois que j’avais un accès aussi facile à quelque chose que j’aimais autant.
J’ai donc écouté Diamonds in the Ditch (une référence directe, apparemment, à l’album Diamonds in the Rough de John Prine) au moins 200 fois dans ma vie en plus d’avoir entendu les tounes en show une autre vingtaine de fois par-dessus ça. C’est un disque que, comme From Here to Infirmary, je ne possède plus parce j’ai tout squeezé ce que j’avais à squeezer de ça. Je n’ai jamais fait le test, mais je pense que je peux probablement m’asseoir dans une pièce sombre avec aucun stimulus et faire une espèce de lecture à l’italienne de mémoire l’album de bout à bout. À un moment donné dans ma vie, j’ai comme eu un wake-up call : j’étais en train de détruire ce que j’aime à force de ne pas assez écouter de musique variée et de toujours repasser sur les mêmes trucs. Diamonds in the Ditch est l’une de ces choses que j’ai tuées.
Diamonds in the Ditch, donc, est un album double avec le thème récurrent de la vie sur la route, être tanné de rester en place, mais détester être ailleurs aussi, le party, le sexe vide et ainsi de suite. Au début, je voyais ça comme un album concept qui racontait une histoire cohérente de bout à bout, mais maintenant je suis moins certain; c’est correct de même, aussi. Pete Townshend a fait une câlisse de job à l’album concept narratif, pas besoin de retourner vers ça. Il y a quand même des tounes qui se parlent (la première est Moving Out — To Florida, la 11e est Moving Back — To Montreal) et toujours ce personnage central, vu à travers un prisme de cowboy qui pleure un brin dans sa bière.
C’est certain que le tempo et les constructions de tounes s’apparentent plus au punk qu’au country sur la majorité de l’album, mais il y a quand même quelques très belles chansons au sens radio-canadien du terme, incluant le duo Scrabble Strip Club avec Mara Tremblay. Il y a aussi des expérimentations dans la direction de Bon Jovi avec l’anthémique Who I Wanted To Be — Pretty Baby, la toune de Yesterd qui serait la plus facile à faire chanter à un aréna au complet. Disons que c’est un son plus proche de Steve Earle que de Merle Haggard.
Une chose que j’ai remarquée à cette écoute — la première en probablement au moins 5 ans — est le nombre faramineux de tounes avec le thème « je sais que tu veux mon pen, tout le monde veut mon pen, mais moi je m’en crisse, j’aime mieux le hockey/ma femme/la poutine8 ». C’est un thème tout de même assez country, mais aussi assez récurrent dans l’œuvre d’Hugo Mudie, sans doute le musicien québécois qui a le plus verbalisé sa réticence d’être un musicien dans sa carrière. J’ai rien contre le message en tant que tel — il faut aussi noter que c’est assez commun dans les tounes de country de camper un personnage qui n’est pas soi —, mais rendu à la quatrième fois qu’on l’entend dans Diamonds in the Ditch, ça devient un peu rébarbatif9.
Il faut dire aussi qu’à l’époque, Hugo Mudie tenait plusieurs tribunes — dans le Bang Bang, puis sur le blogue de son agence de booking, L’Écurie. Il s’exprimait énormément sur sa vie, sur l’industrie et n’était pas nécessairement du genre à se censurer pour ne pas partir de la marde avec les autres. Les chansons sont une extension de ça, j’imagine, et c’est un peu difficile pour moi de dissocier les tounes et ce pan de son expression publique, mais une chose est certaine : il n’y a pas beaucoup de non-dits dans Diamonds in the Ditch.
C’est ici que je me pose deux questions : est-ce que j’avais une espèce de relation parasociale avec les membres de Yesterday’s Ring (plus spécifiquement Hugo Mudie) à l’époque ET est-ce que je ressens de la nostalgie quand j’écoute ça? Pour la première question, il est évident que les textes de Diamonds in the Ditch invitent ça. On l’impression de connaître « le chanteur » (qu’il soit Mudie ou pas) et il semble lui-même entretenir une relation tendue avec ses propres fans. Quand t’aimes quelque chose qui semble ne pas t’aimer en retour, ton instinct est d’essayer de prouver que tu n’entres pas dans le moule des choses qui ne sont pas aimées par l’autre partie. Quand il parle des fans gossants, il ne parle pas de MOI. Il parle de l’autre cave! Pas de moi, qui va à tous les shows, qui arrive en premier et pars en dernier, qui achète systématiquement tous les 7” et écris à Mudie out of the blue pour lui offrir de traduire le site du Pouzza Fest gratuitement10. C’est clair qu’il se passait quelque chose à cause de toute cette proximité, tout ce laisser-aller de l’Internet du milieu des années 2000 dans lequel les gens étaient relativement anonymes tout en pouvant dire des choses extrêmement personnelles sans vraiment avoir de pushback négatif.
Si j’avais une véritable relation parasociale avec tout ça, elle était admirative. J’admirais que quelqu’un pût s’ouvrir comme ça sur disque, sur Internet, sur le stage et quand même se virer et dire « mêle-toi de tes affaires, je ne te dois rien ». J’ai longtemps eu peur d’être vulnérable de quelconque manière (que ce soit straight-up de dire « moi, j’aime ça Fiona Apple ») de peur que ce soit utilisé contre moi; la vulnérabilité qui tourne autour de Diamonds in the Ditch est le contraire de ça. Je n’ai jamais vraiment voulu être dans Yesterday’s Ring ou dans les Sainte Catherines, même si je restais admiratif de leurs histoires de tournées et de la proximité entre la vie et l’œuvre que je percevais en tant que vingtenaire et employé de club vidéo. Mais j’aurais voulu être capable de m’exprimer comme eux à l’époque, et écouter ce disque me permettait de le faire un peu. (Cette infolettre aussi, d’ailleurs, mais vous remarquerez que si je suis pour m’épivarder longuement sur ma vie, je le crisse dans le bas de l’infolettre.)
Donc, suis-je nostalgique? Ai-je des bons souvenirs de cette époque? Non et oui. Je ne pense pas que les choses étaient mieux avant; je n’ai pas particulièrement d’affection pour la personne que j’étais à l’époque non plus. Comme je l’ai dit plus haut, j’ai squeezé tout ce que j’avais à squeezer de cet album, et l’écouter ne me replonge pas à un temps et un lieu précis comme certains autres albums11 peuvent le faire. C’est probablement parce que ce disque-là, je l’ai écouté partout pis que j’ai vu le band si souvent que les souvenirs s’entremêlent. Je l’aime ben, cet album-là; il a été important pour moi, même s’il est vraiment beaucoup à propos de la tragédie qu’est le fait que quelqu’un veut coucher avec nous quand ça ne nous tente pas.
Si vous aimez : Nobody’s Darlings de Lucero, Rivanna Junction de Tim Barry, Red Roses For Me des Pogues, The Stormy Petrel de Leatherface, You Can’t Live This Way de Drag the River, Strangers Almanac de Whiskeytown, Talking in Cursive de Two Cow Garage, Anodyne de Uncle Tupelo, Los Feliz de Chuck Ragan
Où t’as pogné ça?
Probablement sur Vinyl Collective/Suburban Home, le label qui a en grande partie mis le feu aux poudres de cette renaissance des dudes de punk à barbe qui font du folk/country. Je ne possède plus de copie de ce disque pour des raisons que je vais élaborer plus bas.
Est-ce sur Spotify?
Vas-tu l’acheter?
L’affaire, c’est que j’ai déjà possédé Diamonds in the Ditch, mais que je m’en suis départi quand j’ai réalisé que je ne l’écoutais jamais parce que j’avais squeezé tout le jus de ça. Je n’ai pas tendance à garder des disques par nostalgie ou même d’acheter quelque chose parce que je me souviens d’avoir écouté ça dans le passé; visiblement, avec 4000 disques, il y a quelques exceptions qui confirment la règle, mais quand même. En écrivant tout ceci, je me suis rendu compte que je devrais peut-être en avoir une copie, après tout; j’ai zieuté Discogs. Stay tuned.
L’album solo de Mick Fleetwood qu’il a enregistré en Afrique est pas pire, mais loin d’être aussi fucké que End of the Game
Friday emploie tout de même beaucoup des mêmes musiciens, à commencer par Marc Ribot
Lenderman et Hartzman forment un couple, ce qui me semble passablement inutile à mentionner en dehors de r/causerie, mais tsé, voilà
La mélodie de cette toune, Quarry, me fait énormément penser à Waterloo Sunset des Kinks en version “faire d’la meth à Asheville”
Je sais qu’ultimement, vous vous en crissez un peu des faits anodins de ma vie, mais y faut c’qu’y faut
Le dude mentionné plus haut que j’ai rencontré au show des Sainte Catherines!
Pas que je regrette ceci mais, tsé… c’est étrangement commun parmi les gens que je connais.
Will you throw roses at my feet / If I ask you for money to drink? / If I fall on my knees / If I forget my keys / Will you throw roses at my feet? / Will you want me to sleep with your friend / If I forget the name of your band? / I won't go to your show / I won't listen to your songs / While you're talking I'm thinking about home
J’étais tout de même surpris de voir que le nouvel album, Goodbye Nightlife, contenait encore plein de tounes avec cette attitude considérant que treize années se sont écoulées, mais il appert que beaucoup des tounes de Goodbye Nightlife ont été écrites à l’époque de Diamonds
True story, malheureusement, mais ça ne s’est jamais concrétisé
Hudon-Placard de Carl-Éric Hudon et Dany Placard, si on ne prends qu’un exemple de ces années-là
Tu m'as vraiment donné le goût de donner une 2e chance à Wednesday!
(Mais je peux pas croire que la conclusion que tu tires à la fin est de racheter Diamonds in the Ditch... Tsss ;-P )