Tout ce que j'écoute 17/11/2023
"Le saviez-vous que Pedro Almodovar avait un band?" et autres observations qui rochent et roulent
Petite “poutine administrative” (pour citer ma boss au feu Centre d’Excellence): j’ai décidé d’enlever les catégories à la fin des textes sur les albums parce que ça gossais, finalement, pis que je me trouvais un peu baveux de rajouter des insultes quand je parlais d’un disque que je trouve poche. Les recommandations, si il y a lieu, seront directement dans le texte dorénavant.
Aussi, je pensais peut-être faire le disque de flûte d’André 3000 qui est sorti ce matin mais j’ai toughé deux tounes et ça dure un genre d’interminable 90 minutes alors mon verdict est: musique de Donkey Kong.
Cui Jian - Rock 'n' Roll on the New Long March
Si vous suivez l’infolettre depuis un certain temps, vous avez sans doute remarqué que je parle beaucoup plus de la musique de certains pays en particulier et pas pantoute d’autres pays. Des fois, les raisons sont simples — la France, mettons, a beaucoup exporté sa musique; le Japon n’a pas beaucoup exporté sa musique, relativement parlant, mais a eu une production faramineuse qui fait en sorte qu’il y a beaucoup de musique à écouter. Les pays où la marde était généralement moins pognée tout le temps ont tendance à avoir des scènes robustes et en santé dans chaque genre, tandis que les pays où l’engagement politique était punissable par la mort (par exemple) ont tendance à se la jouer safe.
Un pays qui ne revient pas souvent en dépit de son énorme bassin de population, c’est la Chine, pour la simple et bonne raison qu’il n’y avait pas vraiment de musique rock en Chine avant les années 80. Je ne vais pas vous faire le résumé de toute la tourmente sociopolitique qui a mené là (vous devez sans doute en savoir assez, anyway), mais essentiellement la musique dite non traditionnelle était proscrite en Chine jusqu’aux années 80. Il y a, bien sûr, des exceptions à faire avec la musique de Hong Kong (le cantopop), mais ceci n’est pas une infolettre sociopolitique et nul besoin de vous expliquer que Hong Kong pis la Chine, ce n’est pas exactement la même affaire.
Cui Jian a été le premier rock star de la Chine; c’est le premier musicien à utiliser une guitare électrique en Chine, et ceci est arrivé un bon 35 ans après la commercialisation de la première Gibson Les Paul. Ailleurs dans le monde, les rock stars sont arrivés à peu près tous en même temps et sonnent pas mal tous comme Elvis, Buddy Holly, Little Richard ou Bill Haley… mais en Chine, le premier rock star est né dans un monde où, mettons, les Talking Heads, The Clash, U2, Metallica, Joy Division, Kiss et Air Supply existaient tous. Je vais être bien honnête avec vous : ceci ne me semblait guère une bonne nouvelle. Habituellement, quand il est question du « roi du rock » d’un quelconque pays, on parle d’un genre de Johnny Hallyday en coat de cuir qui fait du « boop-bop-a-lop-bam-boo ». Des fois, on parle d’un gars qui sonne comme Richard Marx, genre, mais qui parle contre le gouvernement et qui a donc des troupes d’élite qui tentent de l’assassiner tout le temps… ce qui est cool, mais qui ne va pas à l’encontre de la situation « ceci sonne comme du Richard Marx ».
J’ai donc approché Cui Jian à reculons pas mal, de peur de devoir me taper du genre de Roch Voisine de révolutionnaire. Quelques infos avant de commencer, question de faire durer le suspens. Cui Jian est né d’un père d’origine coréenne en 1961; son père était joueur de trompette pour l’Orchestre Symphonique de Beijing et sa mère était danseuse dans une troupe de danse coréenne. Il joue d’abord de la trompette avant d’apprendre la guitare après avoir été inspiré par des copies pirates de Simon & Garfunkel et… John Denver. (Vous voyez ce que je veux dire par « être sur mes gardes »?) Les premiers balbutiements de la carrière de Cui Jian sont au sein d’un groupe composé entièrement de musiciens d’orchestre symphonique comme lui; les deux albums qui en sont sortis sont essentiellement introuvables et ne sont même pas répertoriés par Discogs, donc pas la moindre idée comment ça sonne. Il y a une toune sur YouTube placée devant des images de ruisseaux et de chalets qui est assez platte et qui semble venir d’un des premiers albums. Elle sonne comme du Dan Fogelberg.
Tout ça pour dire que le véritable premier album, selon les sources, serait Rock ‘n Roll on the New Long March, paru en 1989. Dès la première toune, la comparaison est évidente : Bruce Springsteen. À travers des petites mélodies de synth à la Born in the USA et du saxophone extrêmement compressé qui rappelle Clarence Clemons prisonnier d’un ascenseur, on découvre un chanteur à la voix tout de même expressive et rauque qui n’est pas sans rappeler le patron lui-même… mais en même temps, Cui Jian ne ressemble pas tant que ça à Bruce Springsteen. Les mélodies sont assez saccadées et le son est beaucoup moins épique que dans l’œuvre de Springsteen — ça ressemble parfois un peu plus à une version working-man de Squeeze ou Prefab Sprout, ce genre de musique pop britannique sophistiquée de l’époque.
(Une autre comparaison serait Tunnel of Love de Springsteen — ce genre de prod rootsy-mature Rock Détente.)
Ce n’est pas la prod la plus élaborée de l’époque, mettons; même si on y retrouve des synthétiseurs un brin métalliques (dans le sens de “canisse”, pas dans le sens “Morbid Angel”) et des snares boostés, ça n’a pas la grandeur ou la grandiloquence d’un Springsteen ni la froideur du groupe de new wave moyen. C’est fascinant, tout de même, de voir ce qui est repris et ce qui est délaissé quand la scène musicale autour de Jian n’a pas nécessairement la même évolution. Il y a certainement un petit apport de musique traditionnelle chinoise (si tu fais du folk rock, ça va forcément prendre du folk quelque part) dans les mélodies et les percussions, mais le mélange est tout même plus hétéroclite et original que ca pourrait sembler. Y’a un peu de reggae, un peu de funk à la Talking Heads, du Dire Straits, du Sting solo, du vieux U2, Higher Love de Steve Winwood, beaucoup de sons appropriés à un “charity single” et tout de même une bonne beurrée de cheese à la Phil Collins dans ça, ce qui est quand même plus que je m’attendais.
Les chansons sont toutes vraiment longues — presque rien en dessous de 5 minutes — ce qui a quand même pour effet d’effacer presque tous les “pop hooks” de la patente et de transformer même une toune relativement simple et répétitive en moment épique. Même en ne parlant pas la langue, c’est quand même facile de voir la partie “participation de la foule” à ces tounes-là; si la musique avait été bannie toute ma vie pis soudainement j’entendais We Are The World, je ne m’en remettrais sans doute pas facilement non plus.
Je ne suis pas particulièrement calé en mandarin (n.b. je ne parle pas du tout le mandarin et j’ai dû googler pour être 100 % sûr que cet album est en mandarin), mais je constate que c’est une langue qui n’est pas évidente à appliquer au rock — ou du moins, pas de la manière que Cui Jian s’y prend. Il y a beaucoup de mots à faire rentrer à l’intérieur de ses mélodies, ce qui n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Ça donne un “bounce” particulier aux mélodies que la majorité de la chanson engagée (dans les langues que je comprends, du moins) n’a habituellement pas. C’est comme du Elvis Costello de 1978 qui chante par-dessus du Elvis Costello de 1989.
C’est vraiment impossible de voir Rock ‘n Roll on the New Long March d’un point de vue occidental en 2023 et de comprendre l’étendue de son influence. Quand j’écoute des groupes de Group Sounds du Japon des années 60, je suis quand même capable de mesurer l’impact parce que je peux le placer en parallèle à ce qui se passait ici; faire la même chose avec Cui Jian est de placer Richard Séguin dans une position d’Elvis Presley, ce qui est simplement trop pour notre cerveau, je pense. Ça reste que comme chanteur rock iconique adulé de tous, ceci est quand même pas mal plus potable que du Johnny Hallyday.
Cui Jian - Rock 'n' Roll on the New Long March
Almodovar & McNamara - ¡Cómo Está El Servicio... De Señoras!
Almodovar? Comme dans Pedro Almodovar, le réalisateur? Dans un band?!
Je m’avoue assez ignorant de la scène musicale espagnole en général; pour une multitude de raisons, leur musique a été très peu exportée en Amérique du Nord outre les Las Ketchup et autres Astor Piazzolla, et contrairement aux pays du Bloc de l’Est, ce n’est pas facile de pogner des bons disques pour pas cher. Il y a eu une scène punk/new-wave foisonnante en Espagne, mais ces disques-là sont restés en Espagne. C’est en découvrant le groupe Alaska y los Pegamoides (essentiellement les Rita Mitsouko espagnols) que je suis tombé sur ¡ Cómo Está El Servicio... De Señoras!, un disque qui est bel et bien du cru du réalisateur Pedro Almodovar et de son comparse Fabio McNamara, un peintre et artiste qui joue d’ailleurs dans plusieurs de ses premiers films.
Ça a du sens, quand même. Les premières œuvres d’Almodovar sont très punk au sens de provocatrices et un peu broche à foin (pas punk dans le sens qu’un podcast d’humoristes québécois qui habitent le Vieux Longueuil et parlent de chier dans leurs culottes en tournée est « punk » parce qu’il ne reçoit pas de subventions) et s’inscrivent dans la mouvance « movida » espagnole, genre de renouveau culturel venu après la mort de Franco. La movida s’étend plus loin que juste un son musical — ça se retrouve dans la mode, dans l’art, dans le cinéma et alouette. J’imagine que c’est comparable à la mode punk et/ou new wave en Amérique du Nord — l’inspiration y est certainement, quoique le contexte est un peu plus jubilatoire que « no future ». Sans être nécessairement hop-la-joie de mur à mur, c’est plus « yes, future! ».
¡Cómo Está El Servicio... De Señoras! est paru en 1983, alors qu’Almodovar avait déjà trois longs métrages à son actif et qu’il commençait à se bâtir un nom à l’extérieur de l’Espagne, mais le groupe est en fait né par pure nécessité en 1982 lors du tournage de Labyrinth of Passion. Almodovar avait besoin de chansons pour le film et a donc demandé à son buddé de l’aider. Le projet est donc né d’une espèce de joke et ce n’est pas avant de voir une vidéo YouTube que j’ai compris ça. Il y a ça, quand tu écoutes de la musique dans une langue qui n’est pas la tienne — le sarcasme et l’ironie ne passent pas nécessairement de la même manière. Reste que c’est assez évident quand tu les vois habillés en drag pas trop travaillée et se pavaner sur le stage que ce projet ne s’inscrit pas exactement dans une démarche artistique complètement sincère. Sur Wikipedia, on parle de groupe de glam1 rock satirique. Pas le choix de croire ça.
Je pense que l’équivalent québécois serait quelque chose comme Pied de poule — une approche comique et définitivement satirique qui emploie quand même le style et les codes sans véritable ironie. McNamara et Almodovar rient clairement d’un certain mode de vie excessif de gens parvenus sans goût dans la chanson Gran ganga (les paroles se traduisent essentiellement « I live in a continuous sales season / Luxury, sex and paranoia / That has been my destiny / Who am I and where am I going? »), mais la musique est véritablement bonne et probablement pas tellement différente de la musique que ces deux-là écoutaient en discothèque à l’époque. C’est un son un peu No Wave / Danceteria, des rythmes saccadés électros et des paroles presque récitées. Encore une fois, on peut penser aux Talking Heads, à The Clash à l’époque Combat Rock ou à ESG. (Les bouttes les plus « punk » me font plus penser aux Buzzcocks qu’à Crass, disons.) Un son très weirdo new-yorkais, post-punk mais proto-Madonna.
Gran ganga et Suck It To Me sont les deux chansons enregistrées pour Labyrinth of Passion et elles parlent directement de l’histoire et des personnages, donc c’est peut-être un peu futile d’analyser leur contexte sociopolitique; en plus, elles ne sont même pas sur l’album original, quoique je pense que numériquement, toutes les versions l’ont. Le reste de l’album est définitivement plus dansant, avec quelques apartés pour les susmentionnées tounes qui sonnent comme du Buzzcocks. Il y a 10 — 15 ans, au peak de la popularité de LCD Soundsystem et des trucs comme ça, on appelait ce qu’il y a sur ¡ Cómo Está El Servicio... De Señoras! du « mutant disco », genre de terme de DJ inventé bien après la popularité de la musique qu’il décrit. J’imagine que l’aspect « parodie glam » était surtout évident sur la scène — sinon ceci sonne comme pas mal toute la bonne musique de type « mutant disco » de l’époque.
En termes de réalisateurs qui sont aussi des musiciens, ceci est au moins aussi bon que le travail de Jim Jarmusch au sein des Del-Byzanteens et certainement nettement supérieur à la toune que Clint Eastwood a fait pour Gran Torino, mettons. Pour une affaire un peu garrochée qui est venue au monde simplement pour régler un problème, c’est assez bien mené et ça a extrêmement bien vieilli comparativement à… ben, Pied de poule.
Almodovar & McNamara - ¡Cómo Está El Servicio... De Señoras!
The Rolling Stones - Hackney Diamonds
En toute honnêteté, je n’écoute plus les nouveaux albums des dinosaures du rock à quelques exceptions près; c’est possible que je m’essaie sur un nouveau Dylan ou un nouveau Neil de temps en temps, mais disons que je ne me garde plus au diapason de ce qui se passe avec les Stones. La dernière fois que Keith Richards a sorti un album solo, j’ai été berné par les critiques positives et je me suis ramassé à écouter un disque d’un vieux monsieur qui parle d’aller faire ses commissions et que sa blonde est vegan; ceci a quand même calmé mes ardeurs sur un esti de temps. Quand Hackney Diamonds est sorti, par contre, la critique était pratiquement unanime : ceci est le meilleur album des Stones depuis Tattoo You.
Bon, je trouve Tattoo You quand même somme toute inutile, je ne crois même pas en avoir une copie à la maison, et il y a autant d’albums parus dans les 42 ans entre Tattoo You et Hackney Diamonds que dans les dix ans entre Sticky Fingers et Tattoo You… mais quand même. Pas l’choix d’essayer ça.
Il faut dire aussi qu’il est totalement niaiseux d’avoir des attentes qu’un band qui existe depuis plus de soixante ans pourrait encore moindrement sonner comme ils sonnaient dans le temps. C’est étrange que nous ayons ces attentes des musiciens, mais pas de n’importe qui d’autre; on trouve ça normal que Testament ne ressemble pas pantoute à La maudite galette, mais on capote que des octogénaires ne font pas la même musique que quand ils avaient 20 ans. Le problème est plus que nous n’avons jamais vraiment pu visualiser de quoi aurait l’air le rock à 80 ans; bien des rockeurs sont morts, mais certains de ceux qui ont cristallisé notre image d’un rockeur sont encore là. En littérature, en arts visuels, on a vu plusieurs générations… mais en rock n roll, y’en a comme deux, max.
Loin de moi l’idée de virer cette infolettre en tract poptimiste ou de dire “hé, ho, là, les amis, ces octogénaires millionnaires font de leur mieux”. Si ce qu’ils font est de la marde, c’est de la marde. Mais j’avoue que si la toilette est bouchée pis tu t’attends à trouver une patate qui la bouche parce que tu te souviens que c’était ça le problème, une fois, tu risques d’être déçu en ciel penché quand tu y trouves plus de marde.
Il y a aussi le fait que tout le monde a une image un peu différente de ce qu’ils recherchent dans “du bon Stones, comme dans le temps”; à la surprise de personne, mon Stones préféré c’est Exile on Main St., un album de vibes plus que de mélodies indélébiles et de succès indémodables. À moins que ces vieux monsieurs décident d’aller faire de l’héroïne dans une villa française hantée par le fantôme gossant de Gram Parsons, je doute que ceci soit envisageable comme son. Je doute aussi que le son des premiers albums est vraiment ce que les gens recherchent… en fait, je pense qu’il y a un processus d’addition et de division pour obtenir une moyenne qui nous trotte tous en tête quand on pense aux Stones. L’affaire qui sonne le plus comme du Stones, en 2023, c’est une espèce de moyenne de toutes les tounes. En autant que ça ne penche pas trop d’un bord ou de l’autre…
Est-ce que Hackey Diamonds est ça? Un peu. C’est étonnamment dynamique au niveau des mélodies et de la performance de Mick Jagger; les riffs de Keith sont un brin flasques, mais en même temps, ils sonnent comme des riffs de Keith Richards. Il y a relativement peu de tentatives de se mettre au goût du jour en singeant les éléments les plus gossants de la musique populaire du moment comme c’était la mode il y a 20 ans; il n’y a personne qui arrive pour rapper, n’y’a pas de break de dubstep ou de mardes du genre. Il y a des interventions de tierces parties, mais on parle de Paul McCartney, Elton John, Benmont Tench, Stevie Wonder et Lady Gaga; on est loin, tout de même, d’Iggy Pop qui recrute Sum 41 et Green Day sur Skull Ring ou, encore pire, des albums de covers infects de Santana parus il y a 10 ans. (La pochette, par contre, mérite de rester en 2008.)
Ce n’est pas tellement blues-rock comme proposition; la majorité des tounes sont du four-on-the-floor quasi-disco rappelant un peu Some Girls, et la seule véritable ballade country-rock (Dreamy Skies) est une pâle copie de tout ce qui est venu avant. Il y a un cover de Muddy Waters ben correct, mais pas exactement essentiel. La chanson avec Paul McCartney est quasiment punk dans son esthétique et démontre un band qui semble avoir plus de fun qu’escompté; en contrepartie, il y a au moins quatre chansons qui s’oublient au fur et à mesure qu’elles jouent, avec des solos familiers pis des paroles génériques pleines de lieux communs (“if you live by the gun, you’re gonna die by the gun”) et une toune fucking plate chantée par Keith. (Je suis désolé, Keith, je suis encore traumatisé des critiques dithyrambiques de ton album de liste d’épicerie.)
Sans être particulièrement énergique, le dadrock en puissance de Hackney Diamonds se prend assez bien. Je crois que c’est peut-être la première fois en 60 ans que les Stones sortent un album dans un paysage musical où le rock est aussi peu présent; tous les plus gros bands les plus populaires sont essentiellement des legacy acts de leur trempe (bon, y’en a qui font ça depuis 30 ans de moins, mettons) ce qui leur laisse plus de place pour faire ce qu’ils font au lieu d’essayer d’être au diapason du reste de la terre. C’est certain qu’il y a du remplissage; quelque chose comme un tiers des tounes sont à propos de demander à quelqu’un d’arrêter de chialer ou de se fâcher après Mick, ce qui ne suggère pas tellement une urgence d’exprimer quelque chose qui doit absolument sortir.
Est-ce donc un triomphe, ce disque? Est-ce vraiment le meilleur disque des Stones en 40 ans? J’imagine que oui, mais en même temps, y’a visiblement rien qui ressemble plus à un album des Stones qu’un album des Stones. La plus grande qualité de Hackney Diamonds est une certaine constance et un étonnement général que ça existe. Y’a des bonnes chances que ceci soit la dernière chose à paraître sous le nom des Rolling Stones alors qu’ils existent encore (best believe que s’ils sont encore capables de nous domper des tounes des Beatles 43 ans après la mort de la personne qui les chante, nous ne sommes pas sortis du bois côté Stones)... ou peut-être pas, dans le fond. Peut-être que le prochain va être le meilleur depuis Hackney Diamonds!
The Rolling Stones - Hackney Diamonds
Les Cowboys Fringants — Attache Ta Tuque
Tout le monde y va de son hommage, alors voici.
Comme je l’ai mentionné auparavant, je suis allé à la même petite école anglaise de région toute ma vie; j’ai essentiellement côtoyé les mêmes 150 personnes de 5 ans à 17 ans. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il n’y avait pas de cliques dans mon école; les flos sont des flos dans toutes les situations, mais disons que c’était un brin plus flou que ça le serait dans une plus grosse polyvalente. (Il faut dire que, comme c’est la seule école anglaise desservant la région entière du Saguenay-Lac-Saint-Jean, il y avait du monde dans ma classe qui faisaient plusieurs heures d’autobus jaune par jour pour aller l’école, ce qui ne favorise pas « chiller avec ses amis » la fin de semaine.) Je n’ai jamais déménagé avant de m’en venir à Montréal à 17 ans, j’ai toujours eu les mêmes voisins de mon âge, mes parents sont encore ensemble, et dans ma brève carrière d’enfant qui fait du sport, il y avait toujours des gens que je connaissais dans mon équipe. J’ai donc très rarement eu à « me faire des amis », pour ainsi dire2; j’étais aussi extrêmement mauvais à cet aspect de la vie, que je trouvais très anxiogène.
Éventuellement, quelque part entre « bencher au soccer » et « boire de la bière dans un champ », j’ai commencé à faire du théâtre. Personne ne le savait à l’école, parce que je savais très bien que ceci ne passerait pas et que j’allais encore plus me faire traiter de « gros gai » que quand je portais une chemise ou que je lisais un livre. Je n’étais pas particulièrement à l’aise avec cette activité qui me mettait en contact avec des filles (j’étais, évidemment, le seul gars dans pratiquement tous les cas), mais je le faisais quand même, année après année, sans le dire à personne. Quand j’y repense, j’imagine que j’aimais ça, mais je n’ai pas vraiment le souvenir d’avoir connecté avec les gens avec qui je faisais du théâtre. Je pense que j’étais juste trop mal à l’aise et apeuré de l’idée que quelqu’un pourrait apprendre que je faisais quelque chose d’aussi peu viril que passer mes lundis soirs avec une gang de filles. (?!)
En 2002, j’ai passé les auditions pour La Fabuleuse histoire d’un Royaume, une pièce « historique » qui était présentée tous les étés dans un ancien aréna à La Baie3. Tous les comédiens de La Fabuleuse étaient des bénévoles, et personne n’avait de dialogue à proprement parler; à cause des conditions acoustiques, du chaos sur la scène (des chevaux, des guns, des explosions, des fontaines) et potentiellement de l’absence de talent de gens qui ne sont même pas payés pour faire ça, tous les dialogues sont préenregistrés et les comédiens font du lipsync. (C’était la même bande sonore depuis 10 — 15 ans à l’époque.)
Je ne sais pas si c’est l’aspect préenregistré de la patente qui faisait que les gens semblaient ne pas considérer ceci du théâtre, mais il y avait vraiment toutes sortes de monde dans La Fabuleuse : des vieux, des jeunes, des universitaires, des jobbers, des jocks, des danseuses de ballet, des enfants, des métalleux, des vieux bonhommes nés en 1940 qui ne parlaient jamais à personne, des fermiers, des familles, des poteux, des nerds, etc. J’avais 15 ans et, pour la première fois de ma vie, j’ai intégré un milieu où nous n’avions presque rien en commun et, pourtant…
Nous avions les Cowboys Fringants en commun.
Il faut dire que j’étais, bien évidemment, au courant de l’existence de Cowboys Fringants à cette époque, mais je m’en sacrais pas mal. Comme j’ai mentionné dans une infolettre précédente, j’étais désespéré d’avoir de la musique « à moi » à cette époque, et le groupe le plus populaire du Québec qui scande l’indépendance du Québec quand tu vas à une école anglaise au Saguenay, c’était loin d’être « à toi ». Dans la loge de La Fabuleuse, il y avait juste une chose qui jouait, tout le temps : Les Cowboys Fringants. Comme c’est souvent le cas, je suis arrivé à reculons; j’écoutais du RAMONES, MOI, MONSIEUR. À cette époque-là, il y avait pas mal plus de tounes drôles/trash/broche à foin des Cowboys que de trucs touchants et militants, ce qui est assez rassembleur pour une gang de kids de 14 à 18 ans qui se crient après en bobettes dans une loge de fortune érigée à 4 pieds de l’endroit où tout le monde soupe tous les soirs.
Bref, à l’été 2002, j’ai écouté du Cowboys Fringants à la poche pleine4. J’ai participé à La Fabuleuse en 2003 aussi et, devinez quoi? On a écouté du Cowboys Fringants à la poche pleine. Ce n’est pas grand-chose comparé à d’autres gens que je connais — des gens qui doivent essentiellement leur vie entière à leur amour des Cowboys Fringants. Y’a des enfants qui doivent straight up leur vie au fait que leurs deux parents écoutaient les Cowboys Fringants! (Ceci est probablement aussi vrai de Kain, remarque.) Je vois les gens dire que Karl Tremblay a bercé leur vie entière et je ressens une certaine honte à dire « ah ouais, j’ai bu de la bière à Laterrière en écoutant ça, j’te feele », mais, bon, hein.
Je suis trop jeune pour avoir vraiment été marqué par les Colocs, trop anglo pour avoir accroché sur Loco Locass, beaucoup trop jeune pour Beau Dommage et Charlebois; de mon vivant, la seule mouvance musicale populaire québécoise qui m’a été accessible, c’est les Cowboys Fringants. J’ai vraiment juste écouté un album, le double live Attache ta tuque! que je possédais en copie legit même à l’époque Napster. J’ai pesé sur play sur cet album-là hier, et je vais être franc avec vous : je ne me suis pas rendu loin. Pas par gêne ou snobisme, mais bien parce que je n’avais plus rien à tirer. C’est un album que j’ai aimé, assez pour aller voir leur show au Théâtre Palace à Arvida et assez pour demander à mon prof de guit, un chevelu qui avait les yeux rougis en permanence et voulait toujours me faire jouer du Metallica, d’apprendre Toune d’automne pour peut-être pouvoir être le gars avec une guit au party (chose qui n’est heureusement jamais arrivée), mais je n’ai pas ressenti le besoin de commémorer plus que ça. Ce serait donc un mensonge pour moi de dire que ceci est vraiment tombé sous l’ombrelle de « tout ce que j’écoute », c’est plus « tout ce que j’ai écouté ».
Reste que c’est le sentiment de camaraderie que j’associe le plus aux Cowboys Fringants; pour certains, c’était une camaraderie qu’on allait l’avoir notre pays, mais pour moi, c’était plus une camaraderie de s’assurer que j’allais pouvoir faire mon changement de costume assez rapidement pour passer de mon costume de clarinettiste Dixieland à mon costume de soldat de la Deuxième Guerre. Ce n’est pas rien, quand même. Plus tôt cette année, j’ai croisé un dude avec qui je faisais La Fabuleuse à l’époque (je ne parle plus à personne avec qui j’avais cette camaraderie, d’ailleurs); c’était excessivement difficile d’expliquer à nos blondes et aux autres gens présents le concret de l’expérience et du fait que des centaines de personnes se pointaient au même endroit plusieurs fois par semaine pour faire quelque chose qui ne leur donnait rien à part le plaisir d’avoir fait quelque chose. Je trouve encore ça weird que j’ai fait semblant d’être un saltimbanque pendant deux ans avec, genre, un policier retraité, une madame qui travaille à l’épicerie, une préposée aux bénéficiaires, une danseuse de ballet de 14 ans et plusieurs gars de 4 roues.
Ce serait vous mentir de dire que j’ai préservé ce sentiment envers les Cowboys après la Fabuleuse. À l’été 2004, j’ai déménagé à Montréal et La Grand-Messe est sorti pas trop longtemps après ça; je l’ai écouté, mais je n’ai pas tant accroché, je n’y retrouvais pas le côté festif que j’associais tellement au groupe à l’époque de La Fabuleuse. Je n’ai plus écouté d’albums par la suite, et mon contact avec eux se faisait majoritairement par le biais de la pharmacie. Je me souviens d’avoir entendu L’Amérique pleure dans un taxi ou quelque chose du genre et d’avoir été assez étonné d’à quel point le groupe avait changé graduellement sans que je m’en rende compte.
Je me rends compte aujourd’hui que ce n’est pas parce que t’es passé à autre chose que ce n’est pas quand même un peu triste que les choses qui ont déjà été importantes pour toi n’existent plus5. Une amie du secondaire est décédée il y a deux ans et je me suis surpris moi-même à y penser souvent, même si on ne se voyait plus et on ne se parlait plus. On dirait que j’assumais qu’elle allait toujours être là, que j’y pense ou non. Cette semaine, c’est un autre ami du secondaire que je ne voyais plus, à qui je ne parlais plus, qui est parti.
Antidote tente toujours de changer “glam” pour “gland”, donc la semaine prochaine je vous parle de rock de gland pour satisfaire Druide Informatique
Je suis allé en camp de vacances une fois, au “Camp des artistes” de Patrick Labbé, en 2001, et j’en ai très peu de souvenirs sauf qu’un moniteur avec des cheveux roses jouait du Nickelback pis un kid dans ma chambre pleurait toute la nuit à chaque soir mais le jour se prenait pour un petit gangster
J’étais certain que c’était terminé, mais visiblement, ca existe encore
Avec les gens de mon école, Bob Marley était le seul terrain d’entente entre les rappeux et les métalleux; les Cowboys remplissaient ce devoir à La Fabuleuse
OK BOOMER
Attache ta tuque a été mon seul album des Cowboys, surtout par le fait qu'il a été capté lors du seul show des Cowboys que j'ai vu. J'allais au Cégep du Vieux Montréal, et c'était, comment dire, la trame sonore qui a accompagné toutes mes études. Comme toi, ça me faisait pu grand chose rendue adulte mais la nouvelle de la mort de Karl m'a décâlissée pareil.