Mes excuses pour l’absence d’infolettre dans les deux dernières semaines - je prenais déjà du retard à cause d’un excès d’activités extracurriculaires halloweenesques, et j’ai ensuite été frappé par l’infâme COVID (pour la première fois, d’ailleurs), ce qui m’a forcé à manquer l’animation du Méga Ciné-quiz d’horreur SPASM et m’a laissé sur le cul une bonne semaine. J’avais même préparé une infolettre SPOOKY avec des pochettes SPOOKY qui devra être tablettée pour le moment, vu qu’il n’y a plus rien de spooky qui se passe dans nos vies.
Bref, au lieu de continuellement repousser l’infolettre et de nous rendre jusqu’aux bons baisers de Fort-de-France comme ça, j’ai décidé de vous donner ce que j’ai. Il y a donc juste trois albums dans l’édition de cette semaine, mais réjouissez-vous: j’ai écrit plus de 2000 mots sur le meilleur / pire album de chansons grivoises jamais enregistré au Québec!
*ÂMES SENSIBLES S’ABSTENIR*
Dague — Pop Occitana
Je vous mentirais si je vous disais que je connaissais beaucoup de choses sur le monde occitan avant d’entendre cet album ; je serais encore en train de vous mentir si je disais que j’ai appris beaucoup de choses sur le monde occitan après avoir entendu cet album. La géographie européenne n’est pas vraiment mon bag, mais en gros, l’occitan est une langue qui est parlée dans le sud de la France et qui ressemble beaucoup au catalan de par la proximité du sud de la France avec la frontière de l’Espagne. C’est une langue plutôt qu’un dialecte, si je me fie à Wikipédia, ce qui me force à faire un raccourci simple et dire que les Occitans sont essentiellement les Acadiens de la France. (On va dire ça, là, parce que c’est une infolettre sur la musique et pas sur la préservation de la langue, allez pleurer à Fred Pellerin si vous voulez.)
Suite au « boom » du folk dans les années 50 et 60, on a vu un certain désir d’aller plus loin dans des scènes traditionnelles et folkloriques autour du monde ; bien que beaucoup de puristes continuaient de vouloir jouer les chansons traditionnelles de manière traditionnelle, l’apport d’une instrumentation rock par des groupes comme Fairport Convention ou Pentangle a fait des petits un peu partout dans le monde. C’est un peu ce qui se passe avec Pop Occitana — qui devrait en fait s’appeler Folk-Rock Occitana ou Acid Folk Occitana, mais ça sonne tout de même moins bien — un disque crédité à la chanteuse et ethnologue occitane Françoise Dague.
Dès la première chanson (instrumentale), on sait qu’on a affaire à quelque chose de next level. Ça commence avec un simple tambourine, ensuite une cornemuse embarque avec un riff (c’est-tu un riff si c’est joué sur une cornemuse ?) répétitif et drone-y. Ensuite, quelque chose d’autre (une flûte ?) vient répéter le riff et là deux guitares embarquent : une qui fait un espèce de solo débile et l’autre qui noie le tout dans de la wah-wah. Soudainement, la mélodie jouée par les guitares se sépare et le drone de cornemuse continue, ce qui donne un effet très psychédélique de deux tounes séparées, mais simultanées qui jouent l’une par-dessus l’autre, se rejoignant de temps en temps. Des couches et des couches de son — de flûtes, de violon, de guitare sèche, d’instruments inconnus — s’ajoutent à chaque fois que la toune revient sur elle-même, ce qui arrive tout de même assez souvent. Vous dire ce que j’ai ressenti quand j’ai entendu Lo Renard E La Lèbre pour la première fois — je pensais avoir découvert un puits sans fond, mais en réalité, y’a pas vraiment autre chose qui sonne comme ça sur Pop Occitana ou dans le reste de la musique occitane que j’ai entendue.
Nevertheless, ceci te part un album sur un moyen temps. Il faut dire que c’est l’une de deux chansons sans paroles sur l’album, mais les arrangements denses se retrouvent partout sur le reste de l’album. La Trufarèla, la deuxième chanson, me semble quand même comme une danse folklorique à la base avec une structure qui revient rapidement sur elle-même ; le refrain est présent approximativement 400 fois et pourtant il n’y a jamais deux refrains un après l’autre. Ici aussi, les instruments se suivent et se chevauchent avec une urgence franchement angoissante, quoique la voix nasillarde et très « trad » de Françoise Dague est à l’avant-plan.
L’autre affaire qui est bien plaisante, ici, c’est l’utilisation de la cornemuse. Ce n’est pas très rock, comme instrument, une cornemuse. On l’associe à Amazing Grace pis des cérémonies funéraires et, si tu es le même genre de personne que moi, aux Dropkick Murphys, qui n’ont pas vraiment redonné des lettres de noblesse à l’instrument sauf si tu penses que te faire casser deux dents par un alcoolique de Lachine devant le Hurley’s est noble. (Je ne sais pas c’est quoi ta vie.) Vite de même, je peux penser à deux utilisations de cornemuse dans la musique non traditionnelle : It's a Long Way to the Top (If You Wanna Rock N’ Roll) d’AC/DC, qui est agrémentée d’un esti de long bridge de cornemuse, chose qui n’est jamais mentionnée quand on parle d’AC/DC, et la carrière entière du cornemuseur1 jazz Rufus Harley. On va parler de Rufus Harley une fois, je pense, mais pensez à ça deux secondes : UN CORNEMUSEUR JAZZ.
Pop Occitana utilise quand même la cornemuse à outrance, un peu de la même manière que Rufus Harley — en meublant entièrement l’espace alloué et en l’utilisant pour créer des mélodies alternatives à même la toune. Ça rend cet instrument ostensiblement assez limité — y’a pas 36 façons de modifier le son qui sort de là — tout de même assez polyvalent, et surtout assez psychédélique.
Généralement, il n’y a pas grand-chose à comprendre pour nous les non-Occitans du public, mais comme l’occitan est un dialecte avec du français à la base, des fois, il y a quelque chose à comprendre. C’est surtout le cas de A L’Entorn De Ma Maison, qui a la particularité d’être prononcé comme « alentour de ma maizoune », un ver d’oreille franchement difficile à oublier une fois que tu l’entends. Je n’ai qu’à penser au concept d’une maizoune et j’ai ça dans la tête pendant plusieurs heures. Beaucoup des chansons traditionnelles occitanes sont assez répétitives dans leur structure, ce qui permets à Dague et à sa gang de bien pimenter ça d’instrumentations non traditionnelles comme c’est le cas ici, avec une bonne dose de distorsion de guitare parsemée ici et là et du quasi-gueulage au niveau des vocalises.
Je me demande quand même comment cet album a été reçu par la communauté à l’époque ; ça ne surprendra personne d’apprendre qu’il y a très peu d’informations pertinentes sur l’Internet à propos de ça. (Il y a un gars sur YouTube qui clame haut et fort que Françoise Dague a « une patate incroyable », ce qui ne nous avance pas du tout.) Il y a quelques tounes plates/convenues/exactement ce que tu t’attends à entendre sur un disque de folk occitan, mais il y a généralement une réticence quand viens le temps de pimenter la musique traditionnelle, surtout si celle-ci est sous-représentée à l’échelle globale. (C’est comme moins grave de punkifier la musique irlandaise, disons, que de faire en sorte que le seul disque de musique occitane qui sort en 1973 en soit un pour plaire aux JEUNES DROGUÉS AUX CHEVEUX LONGS.) En tout cas, moi, ni jeune ni si drogué que ça2, j’aime bien.
Si vous aimez : Sweet Child et The Pentangle de Pentangle, I Want To See The Bright Lights Tonight de Richard et Linda Thompson, King / Queens de Rufus Harley, Unhalfbricking de Fairport Convention, False Lankum de Lankum, No Roses de Shirley Collins and the Albion Country Band, Bright Phœbus de Lal and Mike Waterson, Folclòre Imaginari de Luc Ferrari et Henry Fourès, Occitania de Benoît Hutin, Cançons De Femnas — Cançons De Hemnas — Cançons De Fremas de Rosina De Peira E Martina, Kokko de Värttinä, Rackarspel de Folk och Rackare
Ou t’as pogné ça ?
Ça me semblait assez peu probable que ceci croise mon chemin sans obtenir un peu d’aide des internets, et c’est ce que j’ai fait. Cependant, j’ai trouvé le disque de Rosina De Peira E Martina à Montréal sans trop y mettre d’effort donc visiblement, c’est possible.
C’est-tu sur Spotify ?
Non, rabattez-vous donc sur YouTube. Patate incroyable !
Vas-tu l’garder ?
Il y aura sans contredit toujours une place pour le meilleur disque d’acid folk occitan sorti en 1973.
Jesse Malin - The Heat
La semaine dernière3, j’ai parlé de disques qui évoquent immédiatement à l’écoute un moment dans notre vie. Je me suis rappelé de ce disque en particulier de Jesse Malin qui me rappelle un souvenir cristallin dans sa précision, chose qui est de plus en plus rare alors que j’avance dans la vie. Je connaissais vaguement Jesse Malin de nom parce que son premier album, The Fine Art of Self-Destruction, avait été assez populaire avec la presse musicale d’Angleterre. Alors que New York vivait un moment dans le spotlight avec les Strokes, LCD Soundsytem, les Yeah Yeahs et ces autres bands discutés dans le livre Meet Me In The Bathroom de Lizzy Goodman, les critiques anglais avaient aussi flashé sur un paquet de troubadours en cuirette de la grosse pomme, incluant Ryan Adams, Pete Yorn et Jesse Malin.
Contrairement à certains de ces autres ménestrels aux cheveux floppy, Malin avait tout de même une solide feuille de route à l’arrivée de son premier disque. Membre du groupe hardcore « first wave » Heart Attack alors qu’il était encore un préado, le natif de Queens avait aussi vécu l’expérience d’être un groupe post-Nirvana bardassé par des majeures qui ne savaient pas quoi faire avec au sein du groupe de glam-punk D Generation. En dépit de trois albums parus sur Chrysalis/EMI, Columbia et un sous-label de Columbia respectivement et d’un placement sur la bande sonore d’Airheads, D Generation n’ont jamais vraiment pu percer. Un autre groupe nommé Bellvue a duré encore moins longtemps, et Malin a finalement connu un certain succès d’estime avec The Fine Art of Self Destruction en 2002.
Bien franchement, Jesse Malin n’était pas sur mon radar avant que je rencontre un groupe d’amis, une fois déménagé à Montréal, qui lui vouaient un certain culte. L’album le plus récent à cette époque-là était The Heat, album qui n’avait pas, ironiquement, généré autant de heat que le précédent. C’était une époque précellulaire et pré-Alex achète des vinyles, mais pas prétéléchargements illégaux. J’avais probablement téléchargé le disque sur la recommandation d’un de mes amis ou je l’avais piraté de la BANQ (ne me stoolez pas, de grâce) et gravé ça sur un CD MP3, innovation absolument cocobanane de l’époque nous permettant de mettre plusieurs albums sur le même disque et ainsi de ne pas avoir à charrier un cartable plein de CDs partout ou nous allions.
J’habitais, à cette époque, avec ma grand-mère à Ahuntsic. Certains diront que c’est quand même wack d’être un adulte4 qui habite avec une vieille madame, mais ma grand-mère était quand même chill et ceci m’a permis de m’accoutumer à Montréal et être un jeune innocent sans avoir à dealer avec des choses comme m’engueuler avec un propriétaire ou éteindre un feu d’huile. L’endroit où j’habitais, sans doxxer ma grand-mère qui est morte de toute façon, était plutôt difficile d’accès avec les transports en commun. Il fallait soit marcher un genre de 15 - 20 minutes du métro Crémazie ou prendre la 45, qui me déposait beaucoup plus proche de chez nous, mais restait quand même la 45. C’était grosso modo ici:
Le métro Crémazie, c’est le M dans le bas de l’image. On va se rapprocher un peu pour voir quelque chose:
Tout ce qu’il y a au sud du Parc-du-Boisé-de-Saint-Sulpice, c’est le CÉGEP Ahuntsic. Quand je revenais chez nous, je ne passais jamais, jamais, jamais par le parc en question, qui me semblait un endroit extrêmement creep pour que les gens se piquent et/ou nous montrent leur zoune. (Je ne vivais pas à Montréal depuis très longtemps, mais j’avoue que c’est peut-être véritablement ça.) Je faisais donc toujours une ligne droite le long du parc, sauf un soir, en plein hiver.
Je ne sais pas d’où je revenais, mais c’était un de ces soirs de tempête de neige où il ne fait pas assez froid pour que le montréalais typique se fâche vraiment contre la neige mais qu’on vois quand même absolument rien à deux pieds de notre face. Le blizzard rendait la visibilité assez nulle, mais il ventait tellement sur Émile-Journault que c’était pratiquement impossible d’avancer. Je me suis rappelé que ma rue, la rue Legendre, se rendait jusqu’à la fin du stationnement du CÉGEP ; j’ai donc décidé de couper à travers le stationnement afin d’éviter le vent et rentrer à bon port plus rapidement. Ce que je n’avais pas calculé, c’est que le stationnement servait aussi de dépôt pour la neige, une ressource abondante en pleine tempête de neige. Pendant près d’une heure, j’ai sillonné le pourtour du CÉGEP à la recherche d’un trou dans les énormes piles de neige lousse ; éventuellement, je suis tombé sur une section clôturée et j’ai dû rebrousser chemin, revenir sur mes pas et passer par le corridor venteux qu’était Émile-Journault.
Vous l’aurez sans doute deviné — j’écoutais The Heat de Jesse Malin tout ce temps. Mon discman étant logé quelque part à l’intérieur de mon manteau afin de le garder au chaud pour limiter les problèmes, j’ai juste écouté l’album en boucle pendant le périple. Ce n’est pas un album particulièrement hivernal, mais maintenant je trouve ça pratiquement impossible de l’écouter quand il fait beau et chaud tellement j’associe ses textures particulières la neige et le froid. Je suis incapable d’entendre Silver Manhattan, spécifiquement, sans penser à la neige. (Bon, je triche un peu, je pense à la neige à New York et pas dans un stationnement qui fait office de dépôt de neige à Ahuntsic.)
Le son de The Heat est tout de même loin des origines hardcore/punk/glam de Malin ; si je devais résumer ça rapidement, je dirais « Tom Petty urbain ». La voix chantée de Malin est douce et nasillarde (un peu à la Neil Young, forever ma seule référence) et il se munit d’un affect particulier de « bouche molle » pour limer les coins acérés de son véritable accent de Queens. (Ceci implique souvent de ramollir les fins de phrases et de remplacer les R par des L, surtout sur cet album.) Si vous avez déjà vu Malin en show ou en entrevue, vous êtes sans doute restés surpris de découvrir qu’il sonne beaucoup plus comme un gars qui travaille au gril d’un diner qu’un chanteur de folk sensible, et c’est un peu le croisement entre les deux qui forme le son de la première moitié de sa carrière solo.
La présence du regrettable Ryan Adams (un comparse de Malin à cette époque, quoique la collaboration n’a pas vraiment duré passé 2007) définit bien le son de The Heat : rock alternatif qui rock pas tant, folk rock pas tellement folky, pop rock avec un edge certain, musique de chansonnier avec une approche instrumentale fournie, heartland rock de ruelle, Bruce Springsteen5, mais Lou Reed, mais aussi un peu Green Day, mais aussi un peu Paul Simon sur les bords. La production est un peu de son temps, vestige d’une époque où il y avait encore un brin d’espoir qu’un artiste comme Malin puisse placer une toune sur le palmarès ou, à tout le moins, sur la bande sonore d’une comédie romantique campée à Brooklyn, mais le plus important, c’est que les tounes sont bonnes, bien écrites et singulières… un véritable album de songwriter.
The Heat n’est pas mon préféré de Malin ; il y a trop de tounes qui se ressemblent dans le milieu, ce qui est possiblement juste un problème de « sequencing » que je pourrais moi-même réparer dans Spotify. Fine Art of Self Destruction est juste des bangers et le suivant, Glitter in the Gutter, maîtrise un peu mieux les changements de sons et de tons tout en étant très clairement conçu pour un succès commercial. J’avoue que je perds un peu intérêt dans les parutions de Malin après Love It To Life en 2010 ; même s’il a continué d’être assez productif, que je l’ai vu en show quelques fois par la suite et que j’écoute quand même régulièrement les 3 - 4 premiers albums, je suis passé un peu à autre chose.
J’ai quand même été attristé d’apprendre cet été que Malin avait été victime d’un infarctus vertébral6 cet été et qu’il avait perdu l’usage de ses jambes. Pour n’importe qui, c’est un gros coup ; pour quelqu’un qui a comme job de se pitcher partout depuis qu’il a 14 ans, c’est catastrophique. Une campagne de financement pour ses factures médicales est en cours depuis.
Si vous aimez : Ryan Adams de cette époque là (Rock ‘n Roll, Love is Hell, Gold), les albums solo de Paul Westerberg, les albums solo de Tommy Stinson, Tom Petty and the Heartbreakers, le premier disque de Willie Nile, Musicforthemorningafter de Pete Yorn, le premier disque solo de Jakob Dylan… des affaires de même.
Ou t’as pogné ça ?
Ce fut pendant longtemps le disque de Jesse Malin le plus difficile à trouver; éventuellement il y a eu une réédition deux disques avec du stock bonus, ce qui a probablement inspiré quelqu’un à vendre son original, que j’ai pogné chez Aux 33 Tours.
C’est tu sur Spotify ?
Vas-tu l’garder ?
Oui. Je l’aime, mais peut-être pas assez pour pogner le expanded, donc cet original d’un seul disque me va.
Gérard « Nono » Deslauriers — Nono à Gogo Vol. 2
Il existe très peu d’informations concrètes sur Gérard « Nono » Deslauriers sur l’Internet — pas de rétrospective, pas d’entrevue, pas vraiment même d’information généalogique. Le legs majeur de Gérard Deslauriers, c’est une copie de l’un de ses nombreux disques de chansons grivoises ou de blagues salées à chaque endroit au Québec où il y a une pile de vieux disques décalissés qui traîne. Selon ce que j’ai pu glaner, les plus belles années de Nono arrivent pile au milieu des années 50 alors qu’il est MC au Café Main (1203 boul. Saint-Laurent) dans le red light de Montréal ; il y a présenté un spectacle non-stop pendant plusieurs années. Après ça, la trace se perd un peu ; il se produit beaucoup en région (Sherbrooke, Berthierville et Trois-Rivières semblaient particulièrement friands de Nono) et revient parfois à Montréal, se produisant encore dans des endroits pas trop loin des cabarets de ses belles années comme le Waikiki Bar (429 rue de la Gauchetière E.) ou le Café Capitol (1106 boul. Saint-Laurent). Il y a encore des disques de Nono qui paraissent dans les années 80, mais ce n’est pas évident si c’est vraiment du nouveau matériel ; en tout cas, Nono était encore vivant en 1986 parce qu’il présentait un spectacle au chic Zodiaque Astro Bar de Charlesbourg. Je doute que Nono soit encore vivant parce que, si je me base sur ses photos, il est fort probablement né dans les années 20.
Il existe donc une vingtaine de LPs de Nono qui sont partagées entre les chansons grivoises et les captations de monologues, parfois en duo avec Lucien « Beatle » Stéphano. Certains sont des captations en studio, d’autres devant public ; le son de ces dernières captations est infect et on y entend surtout les rires gras de gens assis beaucoup plus proche du micro que Nono. Ce qui est fascinant de ces disques-là, outre leur contenu (on va y revenir bientôt), c’est qu’ils ont visiblement très bien vendu considérant l’absence complète de Nono dans les médias mainstream. Il y a des pubs pour ses spectacles au même endroit qu’il y a des pubs pour tous les cabarets dans le journal, mais il n’est jamais question de lui dans un article ; vu le contenu de ces disques-là, je doute que Nono soit souvent allé à la radio ou la télévision. (Un article de 1969 dit même que Nono aurait été mis à l’index du canal 10 dans les années 60, un sort réservé à seulement deux autres artistes : le satanique Joël Denis ainsi que les Sinners.)
On parle donc d’un succès majoritairement marginal pour un homme qui fait de l’humour potache extrêmement pas marginal. On ne peut pas dire que Nono Deslauriers transcende les règles de l’humour de cabaret — ses chansons écorchent surtout les « guidounes »7, les « tapettes », les jeunes femmes encore « cerises », les filles-mères et ainsi de suite. La légende qu’est Claude Crest a l’air d’André Sauvé à côté de ça. Ma première expérience avec Nono était le premier volume de Nono à Gogo, un exercice mémorable de déculottage du yé-yé à l’aide d’un petit orgue cheap et d’un orchestre rudimentaire. Nono à Gogo est assez dur à oublier, mais la découverte d’un deuxième volume dans un Renaissance il y a environ dix ans a été assez marquant. Mesdames et messieurs, je suis sûr de le dire : on est ici face au meilleur disque de Nono Deslauriers.
Premièrement, parce que Nono s’est doté d’un véritable orchestre cette fois. Sans nécessairement avoir affaire au Ville Émard Blues Band, on sent quand même un soin dans les arrangements et un talent au niveau des interprètes. Deuxièmement, parce que Nono a clairement écouté la musique qu’il veut insulter ici au lieu de juste voler des licks de Claudette Auchu, l’organiste des Expos. Le premier Nono à Gogo sonne pas mal comme 12 fois la même toune, tandis qu’ici on spotte quand même des influences un peu plus variées comme Ray Charles, mettons. (Ça ne sonne pas pantoute comme du Ray Charles, mais ça sonne à tout le moins comme quelqu’un qui est au courant que Ray Charles existe.) Il n’y a aussi aucune parodie directe de chanson tandis que sur d’autres albums on retrouve une version de Do Wah Diddy (Boulevard Saint-Laurent / tu en auras pour ton argent / des guidounes-dou-dounes / des guidounes en balloune), mettons, ou des chansons à répondre de chansonnier comme Le père Gédéon (“Dondaine / son-of-a-bitch / j’ai les deux gosses pognées dans switch”). Ça pourrait sonner comme une exagération considérant qu’on parle d’un homme qui a l’air d’un énorme bébé en suit brun qui a à son actif un album intitulé Chansons À Faire Rougir Une Truie, mais j’ai l’impression que Nono s’est forcé ici.
On commence en force avec À Pas Peur, À Pas Poil, À Pas Bibitte, un country enjoué à propos de la bravoure de Nono — bravoure qu’il utilise pour se battre, mais pour éventuellement déshabiller la fille du boucher, qui devient le premier adversaire de taille de Nino — parce qu’elle pue de la chatte ! (Ho ho ! Hé hé!) Nino invite ensuite les demoiselles offensées à venir coucher avec lui et leur promet de leur faire un enfant (?!). Ceci est suivi par Le trouble de Cacarisse, suite de la chanson Cacarisse sur le Nono à Gogo précédent.
Un peu de contexte : dans la première toune, la jeune Cacarisse explique de manière assez crue à sa mère comment elle est tombée enceinte de Ti-Noir (« c’maudit cochon-là, y’est bandé toutes les soirs ») le jour de ses 15 ans. L’enfant est né et se met immédiatement à invectiver sa mère de l’avoir gardé pendant 9 mois dans un trou puant. Visiblement, les odeurs corporelles sont quelque chose qui gosse Nono (qui se décrit à la fin de la chanson comme « un maudit cochon, un faiseur de minettes, un mangeur de tétons ») au plus haut point. Le mémorable refrain est « Cacarisse, cacarisse, ça t’étonne, mais moé ça m’attriste » et je ne vais pas vous mentir qu’à essentiellement chaque fois que ma blonde dit « Ça m’étonne », je n’ai pas le choix de citer Cacarisse.
Je vous entends venir tout de suite, là. « Ceci est épouvantable ! Je pensais que tu étais quelqu’un d’intelligent ! D’habitude, tu nous parles de jazz ou d’un groupe punk féministe ! Trouves-tu vraiment ça drôle cette estie de marde là ? Es-tu BANDÉ quand tu écoutes ça ou quoi ?!? » Les réponses sont « Un peu, oué » et « Pas du tout, voyons ». Je trouve Nono à Gogo absolument fascinant d’un point de vue sociologique parce que c’est à la fois impossible pour moi d’imaginer des gens écouter ça au premier degré et très évident pour moi pourquoi il existe des milliers de copies de ça et que personne ne parle vraiment de Nono Deslauriers.
À une époque pas si loin de la grande noirceur, ceci devait sonner comme le mal incarné ; en 2023, on trouve ça complètement débile avec sa misogynie, son racisme et son homophobie crasse, mais ce n’est pas exactement des choses qui se disaient à l’époque non plus. Il y a un genre de défoulement dans la surenchère constante ; c’est tellement too much que même après 50 écoutes, je suis un peu estomaqué de ce que j’y entends. Je ne pense pas que le but de Nono est le même que celui de Captain Beefheart en faisant Trout Mask Replica (un autre disque qui me choque et me confond à chaque écoute), mais le résultat est un peu le même.
(Je dois dire que j’ai aussi ben de la misère à comprendre comment La pomme, la queue et les pépins était considéré quelque chose de mainstream tandis que Nono Deslauriers était une fréquentation mal famée pour les gens de peu de morale. À part que Nono ne fait pas de jokes directement à propos de Pierre-Elliott Trudeau, le contenu est sensiblement le même — et je retire essentiellement le même plaisir des deux.)
Bon, de retour à Cacarisse. Le trouble de Cacarisse c’est qu’à force d’enfanter constamment, son fieffé trou puant ne fonctionne pas à son maximum ; sa mère lui conseille donc de se mettre du dentifrice Crust dessus, vu qu’il empêche « les cavités ». Cacarisse fait ainsi et il ne lui reste plus un « crust » de poil par après. C’est essentiellement la même affaire que Cacarisse avec une guit vaguement plus complexe et ça se termine même avec Nono qui réitère son statut de maudit cochon. On apprend cependant avec tristesse que le frère de Nono est mort d’avoir trop déchargé. RIP.
Fling-Flang et Si mon petit bâton sont pas mal exactement ce qu’elles semblent être en surface, des odes au plaisir charnel qui omettent de passer des commentaires sur les odeurs génitales de tous les partis impliqués. (« Je rentre dans sa peau mon dur et beau flang-flang » et « Si mon petit bâton pouvait un jour chanter, il fredonnait le verbe bander ») La dernière chanson de la face A est Les conventions, un genre de Les unions qu’osse ça donne dans lequel les filles-mères, les vieilles filles, les guidounes, les tapettes et les pleins de marde se rencontrent afin de trouver des solutions à leurs problèmes. Les filles-mères décident de mettre des condoms, les vieilles filles décident de se masturber mutuellement plutôt que de tomber sous la grippe des hommes, les guidounes décident qu’elles doivent s’écarquiller parce que les hommes ont besoin d’eux et les tapettes décident qu’il faut jouir comme des petits fous et s’aimer. Le clou de tout ça, c’est la convention des pleins de marde, qui décident qu’ils doivent se purger, chier partout, chier dur, chier mou, mais s’assurer de chier dans le trou.
Je suspecte que beaucoup de vous ont abandonné à ce stade-ci, parce que Nono tient un discours ultraconservateur de mononc’ misogyne, homophobe et abolo. Vous n’avez pas tort ; c’est pas mal ce qui est dit sur ce disque et c’est pas mal ça qui a dû être compris par le monde à Amqui pis à Chicoutimi pis à Charlesbourg qui ont acheté ça au Woolworth’s en 1969. Mais quand on y pense comme du monde, qui était le public de Nono Deslauriers quand il animait des cabarets au coin Saint-Laurent et Sainte-Catherine en 1963 ? Ce n’était probablement pas des politiciens, des journalistes, des docteurs en sociologie, des travailleurs de la construction de Varennes qui snappent un caca dans leur char et autres crackpots de la droite moderne — c’était des éclopés, des marins étrangers, des travailleuses du sexe, des alcooliques, des drag queens… bref, tout le monde sur qui il chie supposément dans ses tounes.
Je ne suis pas là pour monter une défense de Nono Deslauriers comme étant le Jean Genet du monde des cabarets montréalais, loin de là ; je ne connais pas le dude et, si ça se trouve, ses politiques personnelles étaient LePenesque, mais c’est difficile d’écouter les énormités qu’il dit là-dessus et de s’imaginer qu’il fait ça pour plaire exclusivement au genre de monde qui n’allait jamais aller dans des clubs miteux où il partageait la scène avec des danseuses à gogo et des jongleurs.
Une maudite bonne affaire que je viens de placer Nono en working-class hero parce que la prochaine toune, Tatawi Tatana — Yé-yé indien est une indéfendable marde raciste faisant preuve de très peu de créativité même selon les standards variables de Nono Deslauriers. Ce n’est même pas si drôle d’analyser pourquoi ceci est wrong, là, allez voir Killers of the Flower Moon ou quelque chose. Ceci est suivi par La Pitoune, la moins mémorable de l’album ; en plus, Nono utilise pitoune de manière interchangeable pour décrire une femme, le sexe d’une femme et son propre sexe8, ce qui démontre tout de même un certain manque de rigueur. (Cette chanson contient aussi la ligne « Manger de la femme / l’vendredi c’est bon / car c’est la seule viande / qui goûte le poisson ».)
À la bonne santé est essentiellement juste la même affaire que Les conventions - Nono lève son verre aux policiers, aux femmes enceintes, aux « crosseuses », aux « fourreuses », aux « suceuses », les « coucounes » — avec moins de jokes. On arrive à la fin avec Je suis dans le vent, une chanson anti-gogo qui dépeint les gogos (ceux aux cheveux longs, comme les Beatles, par exemple) comme des pervers homosexuels qui chient dans leurs culottes. Encore une fois, ceci est définitivement homophobe pis en même temps pas tant que ça, parce que le yéyé en question est marié à un autre homme et la joke est plus que le yéyé a des sentiments qu’autre chose. Nono offre même de marier ce gogo après que son mari se soit poussé !
La dernière toune est sans doute la pièce maîtresse de l’album et donc, essentiellement, la grande œuvre de Nono Deslauriers. La chaîne est un vamp funk à la James Brown ou Tighten Up d’Archie Bell and the Drells sur laquelle Nono se moque des chaînes de lettres en lisant « la chaîne à marde » qui sert à « briser l’emmerdement général ». Il lit ensuite tous les récipiendaires de la chaîne à marde, qui ont des noms à coucher dehors comme M. Choléra Mardeux, M. Pacôme Diarrhée (qui habite la rue des Intestins à Poil-au-Cul, QC), M. François Cul-crotté, Mme Jos Allaire et M. Frimas Excrément. L’idée est que tu vas chier sur le perron des gens et les gens chient sur ton perron ; la chaîne peut devenir tellement grande que quelque chose comme 60 000 personnes vont chier sur ton perron.
Ceci est extrêmement stupide et je trouve toujours ça EXTRÊMEMENT DRÔLE à chaque fois. L’idée que c’était la job d’un adulte de faire des jokes de caca, d’aller à un studio pour faire plusieurs takes de ces jokes de caca là et d’éventuellement payer son hypothèque avec le fruit d’une joke aussi cave que d’appeler un dude Choléra Mardeux vient me chatouiller d’une manière indescriptible. Y’avait du monde qui respiraient de la boucane nocive toute l’astie de journée dans une usine de semelles de bottes qui est maintenant 16 condos de type loft pis qui revenaient chez eux pour mettre ça sur leur énorme tourne-disque encastré dans un meuble brun. C’est ce qu’on appelle une job de marde. La toune est quand même passablement funky, en plus, et à moment donné il parle de « vieille marde de second-cul », ce qui est quand même une mise-en-abîme des trentes minutes que l’auditeur viens de passer.
Je suis assez passablement convaincu que personne n’a jamais écrit 2200 mots et des poussières à propos de Nono à Gogo, Vol. 2 et je dois dire que je suis un peu fier, d’une certaine façon, d’être la personne à le faire. À me relire, je me rends compte que je le vends plutôt mal, parce que c’est absolument invendable. C’est définitivement pas bon, mais j’aime ça. C’est un artéfact indescriptible et damné d’une époque qu’on se tue à nous dire qu’elle était donc meilleure, plus innocente et tellement plus agréable que maintenant, où on ne peut plus rien dire. Visiblement, c’est vrai qu’avant on pouvait ne rien dire — c’est ça que Nono fait. Il ne dit rien. C’est ça, son art.
Ne rien dire.
Si vous aimez : Euh. Nono à Gogo, Vol. 1 ?
Ou t’as pogné ça ?
Dans un Renaissance. Je ne suis honnêtement pas convaincu qu’il existe des copies de ça ailleurs.
C’est tu sur Spotify ?
À ma grande surprise, il y a du Nono sur Spotify, mais pas celui-ci. Il a été téléversé sur YouTube semi-récemment, ce qui m’a inspiré sa présence dans l’infolettre. Que ce soit dit : je n’ai pas fait subir ceci à ma blonde… en vinyle. Elle a du l’entendre sortir canisse de mon haut-parleur de laptop. Désolé mon amour.
Vas-tu l’garder ?
S’t’en pense.
Merci à Antidote pour ce mot, que je croyais être “cornemusier”.
Dépends des jours?
Ambitieux, ceci fait maintenant plus de deux semaines, mais je le garde comme preuve que j’ai pas chié ça sur un coin de table à matin
de 18 - 19 ans
La pochette est, d’ailleurs, sans doute un hommage à Darkness on the Edge of Town, maintenant que je m’y attarde un brin
“Spinal stroke”, un truc tellement peu commun qu’il ne semble pas y avoir de traduction facile et ce, même si mon day job est en rédaction / traduction dans le monde de la santé
Juste vous avertir tout de suite: je vais utiliser les mêmes termes que Nono partout dans les citations, par souçi de bien rapporter les choses - à noter si celà vous brusque, vous êtes peut-être mieux de revenir la semaine prochaine
Qu’il appelle “ma mini-pitoune”, en fait