Vous trouverez maintenant les liens pour écouter les albums directement en dessous des photos des pochettes! ON ARRÊTE PAS LE PROGRÈS.
The Reds, Pinks and Purples - Uncommon Weather
En 1981, le magazine britannique New Musical Express (ou NME) a publié une cassette en collaboration avec le Rough Trade du nom de C81 ; pour obtenir cette cassette mettant en vedette une tralée de groupes émergents de la scène post-punk/alternative, il fallait envoyer des coupons trouvés dans le NME et de l’argent directement au magazine. À une époque où essentiellement toute musique en dehors du top 40 devait être achetée sans nécessairement être facile à trouver, les compilations du genre étaient primordiales. C81 ne présentait pas beaucoup de découvertes au sens propre du terme ; comme la grande majorité des artistes étaient sur Rough Trade (et ceux qui ne l’étaient pas, comme The Specials, étaient sur des étiquettes encore plus importantes), ils avaient presque déjà tous de la distribution et de la notoriété. Il faut dire que ce type d’exercice n’était pas particulièrement étranger aux pratiques de Rough Trade, non plus ; les compils qui rebrassaient leur écurie et qui se vendaient pratiquement à perte étaient quand même communes. Reste que j’imagine que plusieurs ont été changés à tout jamais par la découverte de groupes comme The Raincoats, Cabaret Voltaire ou Television Personalities.
C81 a été un si grand succès que la cassette fut éventuellement distribuée de manière commerciale. Le magazine, heureux de son expérience, décida de faire la même chose en 1986, question de marquer le cinquième anniversaire de ce succès. La scène musicale britannique avait beaucoup changé en cinq ans ; plus de la moitié des artistes retrouvés sur C81 n’existait plus dans leur forme initiale, et presque tous ceux qui existaient encore faisaient de la musique assez différente de celle faite cinq ans auparavant. La scène punk DIY n’existait plus vraiment, le mainstream rejetait les sons de « guitar music » en faveur de pop léchée (et, j’imagine, de musique de poil léchée comme du Motley Crue) et les quatre magazines musicaux anglais étaient en guerre, essayant constamment de se piler dessus et de découvrir de nouveaux sous-genres avant les autres.
C’est exactement ce qui est arrivé quand NME a publié C86, qui présentait un son apparemment si homogène et facilement identifiable que « C86 » est devenu un sous-genre entier peu de temps après. Le son C86 est essentiellement lo-fi, un amalgame de power pop et de son post-punk joué de manière plus désinvolte, innocente et broche à foin. Il y a des mélodies plus que du bûchage, mettons, mais le son lui-même est plus associé au bûchage habituellement. Les chanteurs et chanteuses ne s’époumonent pas souvent non plus ; la cassette entière prône un peu la désinvolture et un certain affect qui est maintenant assez commun dans toutes les sphères de la musique populaire. Ceci ne représente évidemment pas toutes les tounes sur la cassette, mais reste qu’un son qui allait rapidement se calcifier sous l’ombrelle du « rock indie » se retrouve partout sur cette cassette. L’appellation a rapidement été critiquée ; on disait que cette scène n’était pas du tout représentative de la scène à l’époque, que c’était du pur hipsterisme, patati, patata. C86 nous a quand même donné Primal Scream, Shop Assistants, McCarthy, The Wedding Present et The Pastels, entre autres, et on entend encore son influence dans le monde ultra-fragmenté de la musique en 2023, où aucune playlist et aucun média ne pourrait se targuer d’inventer un sous-genre.
« Mais là, ça fait genre 500 mots que je lis sur C86, qui ne semble même pas être le disque dont il est question ici si je me fie à la convention acceptée qui dicte que le titre en haut d’un paragraphe nous prépare à entendre parler dudit album, » dites-vous. C’est vrai ! Vous avez raison ! La dernière ligne du paragraphe précédent est pas mal la raison pour laquelle je viens de m’épivarder aussi longtemps. À moment donné pendant la pandémie, Spotify me feed quelque chose à la fin d’un album choisi et immédiatement, je me dis « oh wow, je me demande quel band de C86 c’est ça » et, à ma grande surprise, je découvre que ce n’est non seulement pas un groupe de C86, ça ne date pas pantoute de 1986 et c’est essentiellement un seul et unique dude.
The Reds, Pinks and Purples est en fait le projet de Glenn Donaldson, un musicien de San Francisco qui roule sa bosse depuis une trentaine d’années et a participé à un nombre faramineux d’œuvres qui me sont presque toutes inconnues sauf une collaboration à un seul album de Woods (le band de Kevin Morby) en 2011. Ma première réaction (très boomer) quand j’ai entendu cet album fut de penser « ahhh, the kids are all right », mais finalement c’est pas un kid pantoute. Musique de barbe blanche pour les barbes blanches1. The olds are all right.
La recette est souvent la même : des chansons super catchy et pop présentées sans vernis et sans beaucoup de fioritures. Je ne serais pas surpris que les chansons soient enregistrées en une prise, mais comme j’ai l’impression que Donaldson fait pas mal tout sur ces albums-là, l’aspect broche à foin doit être un peu travaillé. Pour aider la confusion, tous les albums de The Reds, Pinks and Purples ont des pochettes pratiquement identiques : des photos d’une maison ou d’un bâtiment coloré de San Francisco avec une bordure d’une différente couleur pastel dans des teintes de Pâques. Ceci fait en sorte qu’à chaque fois que je croise un nouveau disque du groupe chez mon pusher habituel de skeuds2, je suis incapable de déterminer si c’est un nouveau disque ou un vieux.
Cette approche volontairement mêlante me semble quand même faire partie intégrante de ce qu’est The Reds, Pinks and Purples ; j’ai dû choisir un album pour faire ceci, mais je ne suis pas vraiment capable de les différencier, ce qui témoigne quand même d’une certaine constance de qualité dans l’œuvre. Uncommon Weather présente le ver d’oreille Don’t Ever Pray At The Church On My Street, qui sonne comme une Peel Session dégarnie d’un groupe vaguement New Romantic britannique dont l’unique album est paru tard et a été surproduit par un label sur le bord de la faillite. C’est spécifique en crisse, me direz-vous. Oui, effectivement. Tout en étant super accessible par ses mélodies pop bien ficelées, Uncommon Weather présente une patine vraiment spécifique et nichée qui saura plaire aux estis de nerds qui lisent (peut-être ?) cette infolettre. (Il y a une toune nommée The Record Player and the Damage Done — référence à Neil Young — et une autre nommée Sing Red Roses For Me — référence aux Pogues — mais ça ne sonne jamais vraiment comme ça.)
En fait, si je devais affubler Uncommon Weather d’un genre en particulier, j’appellerais ça du rock de disquaire3. Je suis certain que Glenn Donaldson a un magasin de disques à distance de marche de chez eux dans lequel il rentre pour rien acheter, mais juste jaser avec le monde4 ; jamais un disque n’a autant donné cette impression. Il y a même des chansons entières dédiées à des stéréotypes de mélomane, comme The Biggest Fan, où Donaldson chante : you say you were the lonely one / you say you were the first to come / that early song you don't know how it goes / you can't remember where you heard it / it's somewhere on your phone / but did you even buy the records / could you name three songs by them? / you were the biggest fan / the biggest fan
Est-ce que Uncommon Weather est le meilleur album de The Reds, Pinks and Purples ? Je sais pas. Est-ce que c’est la meilleure façon de découvrir l’ensemble de l’œuvre ? Peut-être. C’est bon, en tout cas.
Urszula Dudziak – Urszula
Quand je vous dit « jazz vocal », vous imaginez sans doute l’une de deux choses : du jazz enfumé des années 30 de type Billie Holliday, ou quelqu’un qui fait des vocalises pas possibles, des onomatopées avoisinant le rot qui servent à imiter le bruit d’instruments. Ce deuxième type de vocalise jazz est depuis passé de mode et est devenu un genre de phénomène de foire pour imitateurs et autres humoristes de corpo, mais il était une fois, les gens raffolaient de ceci. Ostensiblement, on appelle ça du scat, mais depuis l’avènement de Scatman John et de son ski-bi dibby dib yo da dub dub, le concept a très mauvaise presse. Je suis ici pour vous dire que des fois, le scat, c’est BON5.
Urszula Dudziak est une chanteuse polonaise qui fut d’abord connue dans son pays natal pour ses collaborations avec son mari, le violoniste de jazz Michal Urbaniak. Urbaniak a fait paraître plusieurs albums avec des combos un peu différents à la fin des années 60 et au début des années 70 (dont trois estis de bangers en 1973 seulement) avant de déménager aux États-Unis et immédiatement trouver une place de choix dans une scène de jazz-rock et jazz fusion menée par, entre autres, Weather Report. C’est en 1975 que Dudziak fait paraître cet album éponyme sur l’étiquette Arista, qui venait tout juste d’être fondée par Clive Davis et qui servait jusqu’à là à faire paraître des albums d’artistes qui ne seront sans doute jamais couverts ici comme David Cassidy, Eric Carmen et les Bay City Rollers. Éventuellement, Arista allait devenir chef de file dans un certain type de jazz, mais en 1975, c’était encore le free-for-all.
Il y a beaucoup de gens qui sont refroidis à l’idée du jazz fusion parce qu’ils imaginent automatiquement UZEB pis des gars avec des mullets pis un Chapman stick qui font de la musique de talk-show en 1988. Je ne vais pas vous mentir — bien que le kaléidoscope du jazz fusion est beaucoup plus varié que ça, il y a quand même beaucoup de ça, et il faut quand même se construire une certaine tolérance avant d’aller dans les eaux troubles d’une grande partie de la production jazz fusion mondiale. Ceci dit, il y a relativement peu de ça dans Urszula ; si les moments « chanson-thème d’une émission d’intellectuels qui discutent sur un plateau rond en fumant 23 000 smokes » sont définitivement présents, on est plus proche du disco et même de la musique brésilienne. Tsé, le genre de hululement6 de gorge enjoué qu’on entend dans la musique brésilienne ? La base du son scat d’Urszula Dudziak ressemble plus à ça qu’à Scatman John.
Vous avez peut-être déjà entendu la première toune sur cet album, Papaya, parce qu’elle est devenue virale dans un genre de Salut Bonjour ! aux Philippines en 2007 (!) et ensuite toutes sortes d’asties de niaiseries en ont découlé. Si vous pitonnez « Papaya dance » dans YouTube vous allez trouver beaucoup d’affaires étranges et débiles comme des Minions qui dansent sur un remix mélangé avec Seven Nation Army ou des clips ultra-pixelisés d’étudiants philippins en uniforme qui font la danse, une genre de chorégraphie à la Ketchup Song. J’ai beaucoup écouté cet album, mais c’est juste cette fois que j’ai réalisé que si la musique n’était pas aussi funky et recherché, y’a des bouttes de ça qui pourraient sonner comme les susmentionnés Minions ou, encore pire, Crazy Frog.
(Je sens que je pars déjà avec deux prises.)
C’est évident dès le début que, même si les musiciens viennent surtout du jazz (incluant quelques anciens du band de Miles Davis), le but est plutôt d’offrir du disco / funk commercial. Contrairement à beaucoup de ces tentatives d’un « cross-over » de l’époque, par contre, il n’y a pas 36 000 instruments, une section de cuivres et une section de cordes en plus de multiples breaks instrumentaux. Les grooves sont commerciaux, mais l’approche reste un brin avant-gardiste — chose qui est particulièrement difficile à éviter quand la chanteuse qui est sur chaque pouce carré de la patente se fait aller les cinq octaves sur un esti de temps.
J’en conviens que le scat percussif d’Urszula Dudziak peut être un peu difficile d’accès, mais d’une autre part, c’est assez impressionnant à quel point des onomatopées de type « ti-ki-ti-ki-ti-ki-ti-ki-ti-ki-ti-ki-tong-de-dong-de-dong-de-tong » peuvent rester dans la tête au même titre que des paroles. Papaya est assez conventionnelle, mais on tombe rapidement dans un monde qui n’est pas sans rappeler une version plus funky de Fly de Yoko Ono dès la deuxième toune, un jam psychédélique dans lequel Urszula gueule plus qu’elle scatte. En fait, pas mal tout ce qui se passe ici est essentiellement une version plus maîtrisée et plus contrôlée (plus « commerciale » si vous croyez à une époque où des cris et des échos pendant deux minutes et demi avaient un potentiel commercial) de ce que Yoko Ono fait sur cet album-là ; je ne crois pas que ce soit possible de se déhancher sur des chansons de Fly, mais ici, le potentiel de scénarios est plus grand. Tu peux danser ET badtripper en dessous des couvertes en dedans du même cinq minutes, ce qui n’est pas rien.
Gros funk, grosses vocalises, grosses guits ici et là (grâce en partie à Reggie Lucas, l’un des shredders en chef de l’époque électrique de Miles), grosse expérience. Je dirais qu’en général, les vocalises empêchent le disque de devenir une expérience de jazz gras pesant et collant7, mais on y retrouve quand même des grooves cauchemardesques ici et là. La première toune du deuxième côté est celle qui s’approche le plus du jazz fusion brésilien de type Airto / Flora Purim, mais ça reste beaucoup plus agressif et funky que planant. Il y a des moments un peu plus posés qui laissent présager ce qui allait se passer avec Dudziak quelques années plus tard (un virage plus traditionnel, voire même « respectable »), mais c’est somme toute assez solide. Quand j’ai découvert le monde sensiblement sans fin du jazz-rock / jazz fusion, j’ai stické sur certaines affaires qui, avec le recul, sont plus dans le cochage de cases que dans la création originale. La prolifération de musiciens et le fait qu’une session de jazz peut être bouclée en quelques jours alors qu’un groupe de rock à la même époque prenait 4 mois pour chier dix tounes plates fait en sorte qu’il y a beaucoup de parutions « alimentaires » ; Urszula n’en est pas une.
David Blue - Nice Baby and the Angel
Le nombre de dudes qui ont été présentés comme « the new Bob Dylan » dans les années 60 et 70 est essentiellement incalculable ; si tu étais blanc, que ta voix était un tantinet weird et que tu faisais de la musique dans laquelle une guitare acoustique pouvait être présente de temps en temps, les compagnies de disques te donnaient une chance. (Comme l’a dit Loudon Wainwright, « Yeah, I got a deal and so did John Prine / Steve Forbert and Springsteen, all in a line / They were lookin' for you, signin' up others / We were new Bob Dylans, your dumb ass kid brothers”)
Ça se trouve que parmi mes nombreuses obsessions, il y a une obsession avec ce sous-genre musical fécond qui traverse les époques, les pays, les cultures et parfois même le genre. J’adore le son de Bob Dylan en partant, mais à moment donné, un gars fait l’tour, et c’est bien fait quand même que la terre se serait arrangée pour qu’il y ait presque toujours quelqu’un pour soulager cette démangeaison. Je ne vais pas vous faire le palmarès de tout cela, mais il y a essentiellement trois catégories de nouveau Dylan : ceux qui ont transcendé leur position pour devenir autre chose (Prine, Springsteen), ceux qui ont été voués à un échec souvent tragique (Phil Ochs, Chris Lucey) et ceux qui n’ont pas vraiment atteint ni le top ni le fond… comme David Blue.
David Blue est né à Rhode Island en 1941 et a rapidement intégré la scène folk de Greenwich Village dans sa vingtaine ; selon bien des sources, il était bien buddy avec Bob Dylan, Phil Ochs, Eric Andersen, Tom Paxton et tous ces autres messieurs de la scène qui portaient des calottes de marin. D’abord connu sous le nom de David Cohen, il change son nom pour David Blue (une suggestion d’Eric Andersen, mais aussi une décision pratique parce qu’il y avait un autre David Cohen dans Country Joe & the Fish) juste à temps pour son premier album, l’éponyme David Blue paru en 1966. Cet album sonne excessivement comme du Bob Dylan de la même époque, à un point tel que c’est pas tellement surprenant que ce fut un échec. Jac Holzman d’Elektra aurait même refusé de le sortir pendant un bout, acceptant finalement de le sortir pour faire plaisir aux amis de Blue.
Je l’aime bien, cet album — beaucoup plus que les deux suivants. 23 Days in September passe d’un folk rock bien carré à un folk baroque surfait, tandis que Me, enregistré à Nashville et paru sous le nom de S. David Cohen, s’affuble d’accents country pas trop convaincants. (Dylan venait de faire Nashville Skyline, ce qui n’a sûrement pas aidé Blue à se sortir de l’ombre de son frenemy/idole.) David Blue devait être smatte, d’une manière ou d’une autre, parce qu’il a toujours été entouré, dans cette période parsemée d’échecs, par des gens talentueux et influents.
Il était ami avec Leonard Cohen8, il est resté assez ami avec Bob Dylan9 pour apparaitre sur la pochette de The Basement Tapes (et, conséquemment, sur des enregistrements du Rolling Thunder Tour et éventuellement dans le film-fleuve de Dylan Renaldo and Clara). La toune-titre de l’album Blue de Joni Mitchell10 est supposément à propos de lui ! C’est d’ailleurs Joni qui a fait en sorte que Blue a été signé sur Asylum, un tout nouveau label qui voyait le jour à cette époque ; il fut le troisième artiste ever à faire paraître quelque chose sur Asylum.
La croyance populaire est que Stories, le susmentionné troisième album à paraître sur Asylum, est le meilleur album de David Blue. C’est certainement le premier dont j’ai entendu parler, dans un article paru il y a une quinzaine d’années dans une revue de musique britannique qui parlait des « great lost albums ». Visiblement, Stories n’était pas si lost que ça, parce que j’en ai souvent vu des copies en plus d’en avoir une, mais ce n’est pas de Stories dont je veux parler aujourd’hui, parce que j’ai un CONTROVERSIAL TAKE. Pour moi, Nice Baby and the Angel est le meilleur album de David Blue, et ce, en dépit du fait que tout le monde connaît la chanson Outlaw Man parce que les damnés EAGLES l’ont fait.
Tout le monde se crisse de Nice Baby and the Angel parce que ça vient pile après son « meilleur album » ; même Byron Coley, dans une recension de la carrière de Blue pour Forced Exposure, n’en parle pas pantoute. Pourtant, stie, ca ne niaise pas : c’est produit par Graham Nash (de CSN) et compte parmi ses musiciens Dave Mason (Traffic), Chris Ethridge (Flying Burrito Brothers), John Barbata (aussi de CSN en plus d’être dans Jefferson… Starship?!) et le multi-instrumentaliste David Lindley. Un lineup comme ça ne garantit rien excepté un budget bien en santé pour le label, mais ça démontre aussi quelque chose à propos du son de l’album — pour la première fois dans sa carrière, Blue est ni en avance ni en retard sur ce qui se passe autour de lui.
J’ai peut-être déjà parlé de ceci avant, mais je considère la musique sur Nice Baby and the Angel du « salopette blues », un terme de mon cru (j’pense) qui comprend une grande partie de la musique faite (par des blancs) aux États-Unis entre 1969 et 1975. Pas totalement folk, pas totalement country, avec une part de blues, de R&B, de rock et soul variable de toune en toune, le salopette blues est la musique du retour à la terre des late-stage hippies — ceux qui ont continué de vouloir faire pousser leurs propres carottes, mais dans un chalet de Topanga Canyon bien après la désillusion d’Altamont. Les collectionneurs américains appellent souvent ceci du « rural rock », mais je trouve que le « rural rock » manque un peu de l’edge rock qu’on retrouve dans un album comme Nice Baby and the Angel. (Si je me fie à Mainmise, le Québec a mis beaucoup plus de temps à se remettre de cette période, mais les mangeux de yogourt et de luzerne écoutaient plutôt du Gentle Giant pis du Maneige.)
Les piliers fondamentaux du salopette blues sont Dylan, Young, The Band, les membres des Byrds (mais surtout quand ils ne sont plus dans les Byrds) et, à un certain niveau, les Grateful Dead, mais ils ne représentent pas vraiment la définition parfaite du salopette blues. Ceci dit, entre la toune Bell Bottom Blues de Derek and the Dominoes et l’album éponyme de Bobby Charles, vous devriez avoir une bonne idée du son que j’essaye de décrire. C’est bien rare qu’un artiste ait œuvré entièrement dans le salopette blues toute sa vie, le salopette blues étant un état transitoire, mais il y a aussi essentiellement toujours eu du salopette blues.
David Blue ressemble visuellement pas mal à Tony Joe White/Mac Davis/Joe Dassin, alors on dirait que je m’attends toujours à partir le disque et entendre une voix extrêmement profonde et swamp en sortir. Ce n’est pas vraiment ça. Quoique moins nasillard que Dylan, il a certaines des mêmes affectations vocales. Ceci dit, Nice Baby and the Angel ne ressemble pas vraiment à une période particulière de Dylan (peut-être les prestations live du Rolling Thunder Revue, et encore là, celles-ci bûchent d’une manière très spécifique) ; c’est Dylan-esque sans être du wannabe Dylan, ce qui est une précision tout de même importante à apporter.
Outlaw Man est du country rock uptempo avec une ligne de guitare assez mémorable ; ça déménage beaucoup plus que la version des Eagles (ce qui n’est quand même pas très difficile à accomplir), tandis que Lady O’Lady, portée par une mandoline et des chœurs féminins, a une texture un peu plus européenne. True to You, peut-être la plus Dylanesque au point de vue de la mélodie, est un genre de hit caché ; je suis surpris que pas plus d’artistes ont puisé dans le catalogue de Blue à l’époque. Le début de la carrière de Blue est marquée par beaucoup de versions de ses chansons par des artistes pas nécessairement mieux partis que lui (Ted Neely, Nolan Porter, Patrick Sky, The Apple Pie Motherhood Band), mais cette section n’a produit que le hit pour les Eagles. Ça a un charme très propre à ce type de country rock de la côte Ouest, une espèce de camaraderie automatique qui ne va pas automatiquement verser le cheese « peaceful, easy feeling » que les Eagles ont engendré.
Je suis moins fan des tounes qui sont juste des ballades plates avec un violoncelle pis de la guitare fingerpickée, mais c’est absolument impossible à éviter dans ce style de musique à cette époque. Pris sur leur propres mérites, ces tounes-là (On Sunday, Any Sunday et Yesterday’s Lady) sont plus du Leonard Cohen-esque que du Dylan-esque, ce qui démontre quand même bien le cannibalisme et la pollinisation croisée de ces centaines d’artistes. Leonard Cohen a été accusé d’imiter Bob Dylan, mais plus tard, quand tu imites Leonard Cohen qui fait Dylan, ça sonne comme ni l’un ni l’autre pis les deux en même temps.
D’ailleurs, fun fact — en 1980, David Blue a habité à Montréal pendant une période parce qu’il jouait le rôle de Cohen dans une comédie musicale présentée au Théâtre Centaur. C’est Cohen lui-même qui avait choisi Blue pour interpréter le rôle. La présence de Blue n’a visiblement pas marqué les Montréalais — la pièce ne fut pas particulièrement populaire et la semaine que Blue a passée à l’affiche du Transit de l’Hôtel Nelson lui a valu une critique tiède dans La Presse qui le qualifie comme étant « somme toute un acteur et interprète de second plan ». C’est quand même ici que Blue a rencontré sa femme Nesya, une Montréalaise qui travaillait pour l’ONF (c’est elle qui a fait la direction photo du documentaire culte Hookers on Davie) et qui accompagna Blue à New York après l’expérience du show de Cohen.
Malheureusement, ce retour au bercail fut de courte durée. Six ans après avoir fait paraître son dernier album, David Blue meurt terrassé d’une crise cardiaque alors qu’il fait son jogging dans Central Park. Un autre gratteux de guitare, plateaunien du nowhere, note de bas de page dans l’histoire de la musique. En dépit de cette fin relativement peu glorieuse, l’histoire de David Blue ne s’inscrit pas pour moi dans les véritables tragédies du rock, en partie parce que l’œuvre, bien que sous-appréciée, est plutôt bonne. Des albums comme Nice Baby and the Angel, il y en a une chiée ; la majorité sont des one-trackers, mais Nice Baby and the Angel est pas mal solide de boutte à boutte, un accomplissement que bien des prochains Dylans qui ne sont jamais tout à fait parvenus à sortir de son ombre ne peuvent pas vraiment s’approprier. Le meilleur compliment que je puisse faire à cet album, c’est que si il y a de la visite chez nous, il est dans le top 5 de mes premières idées de disque à mettre.
Même Dylan n’a pas cet honneur.
Jean Cohen-Solal - Flûtes libres
C’est fucké, notre rapport à la flûte, je pense. J’ai pensé à ça quand le nouvel « album de flûte » d’André 3000 a droppé la semaine dernière et que beaucoup, beaucoup, beaucoup de gens se sont retrouvés estomaqués d’entendre pas mal exactement ce qu’il nous avait dit qu’on allait entendre : de la musique nouvelle-âgeuse ambiante n’ayant absolument rien à voir avec Outkast. Pour moi, la plus grande surprise était qu’il y avait somme toute pas mal moins de flûtes dessus qu’escompté pour un projet vendu comme « un album de flûte ». André Benjamin souffle dans une flûte et la moitié de la terre trouve qu’il y a trop de flûtes et l’autre moitié trouve qu’il y en a pas assez.
C’est quoi la dose optimale de flûte, d’abord ?
Flûtes libres de Jean Cohel-Solal est paru en France et au Canada dans la série « Musiques et instruments insolites » de Barclay qui existait pour mettre en valeur des instruments méconnus du grand public. Si je me fie à leur présence relativement constante dans les bacs de disques de la métropole, ces disques devaient être vendus au rabais et/ou donnés en promotion quelconque, parce qu » il me semble tout de même implausible que le disque de polka de Vicky Vitt, le roi belge du tuba, ait trouvé preneur aussi facilement. La majorité des disques dans cette série sont le genre de chose que je me m’imagine mal une personne écouter pour le plaisir ; c’est essentiellement une extension de library music mais qui ne sers même pas nécessairement aux fins habituelles de la library music, donc… à utilité réduite.
Il y a deux disques dans cette série qui détonnent un peu : Structures Sonores, un disque de musique électronique expérimentale par Jacques Lasry et Flûtes libres, le premier disque du flûtiste Jean Cohen-Solal, qui est en fait plus un amalgame de jazz/expérimentale/musique psychédélique qu’une véritable démonstration des pouvoirs de la flûte. Détrompez-vous : y’en a en crisse, de la flûte, là-dessus — mais je ne comprends pas exactement comment elle fait découvrir la flûte à un public friand de découvertes au même titre que Raymond Le Borgne nous démontre la bombarde celtique dans son disque… Bombarde Celtique. (Le Borge apparaît même sur Flûtes libres, lui et plusieurs autres artisans de cette série qui prouve une fois pour toutes que toute est dans toute.)
Né en Algérie, Jean Cohen-Solal devait d’abord étudier la harpe, mais fut pogné pour étudier la flûte parce que le conservatoire de Nîmes n’offrait pas de cours de harpes. Comme bon nombre de musiciens expérimentaux et d’avant-garde européens, il payait les factures avec des gigs alimentaires à la télé ou en concert et il est déjà un peu établi comme musicien de session quand il fait paraître Flûtes libres en 1972. L’écrasante majorité de ses œuvres enregistrées avant et après sont avec des artistes on ne peut plus normies comme Georges Moustaki, Hélène Martin et Graeme Allwright.
De la flûte dans le rock progressif, il y en a en titi. Jethro Tull, King Crimson, Genesis, Van de Graaf Generator, Chicago, Focus… Rien de ça ne sonne particulièrement comme Flûtes libres. En fait, ce qui est quand même impressionnant de ce disque est que ça ne sonne pratiquement jamais médiéval-core/lutin-core parce que c’est un disque de prog jazzy extrêmement minimaliste. C’est la première toune, Concerto cyclique, qui impressionne le plus, mais c’est peut-être juste parce que c’est la première ; neuf minutes de psychédélisme dans la grosse ouate dans lesquelles Cohen-Solal se fait aller le Roland Kirk11 sur un esti de temps. C’est surtout ça, je pense, le préjugé envers les flûtes dans le rock — c’est que ça produit immédiatement une image de lutin moqueur qui va t’envoûter en dansant autour d’un gros crisse de champignon picoté. Il n’y a pas ça dans Flûtes libres. Beaucoup plus près du krautrock (et particulièrement des premiers Kraftwerk, qui sont surtout à base de flûte) que d’Aqualung, Concerto cyclique est l’une des meilleures surprises que tu peux avoir en écoutant un disque communément trouvé dans un sous-sol d’église.
Le reste de l’album est un peu dans les mêmes tons. Raga du matin, c’est pas mal ce que ça sonne — une toune d’inspiration indienne où la cithare est presque aussi importante que la flûte. Ce type d’affaire est extrêmement commun dans la musique « fuckée » de l’époque et, quoique c’est une bonne version de cette chose, c’est pas nécessairement un incontournable. Matière relève plutôt du free jazz tandis que Quelqu’un, qui prend un côté entier du disque, est une suite de drone/musique concrète pas mal dans les règles de l’art et contenant somme toute à peu près autant de flûtes que l’album d’André 3000. C’est en fait ça qui est le plus weird de Flûtes libres — que ça nous promet d’être l’ultime expérience de flûtes libres pis que c’est finalement juste de la musique de batté avec de la flûte.
Je pense que je surestimais un peu cet album avant cette semaine parce que c’était quelque chose qui se trouvait assez facilement dans une brocante il y a 10 ans. J’ai payé « le plein prix » pour le mien (un gros 20 $, une aubaine considérant le prix présentement) mais à l’époque c’était une façon d’obtenir de la musique fuckée en vinyle relativement facilement. C’était une sorte de « gateway drug » pour ouvrir ses horizons à des affaires plus poussées, plus rares et plus étranges, et pour ça, je ne vais jamais me départir de Flûtes libres. J’apprécie toujours une tentative de slider de l’art difficile d’accès là où personne ne s’y attend. Depuis, il est ressorti avec l’autre disque de Jean Cohen-Solal, Capitaine Tarthopom, sur l’étiquette de jazz française SouffleContinu, et je dois admettre que Captaine Tarthopom est une expérience d’écoute beaucoup plus satisfaisante.
Il y a plus de flûtes dessus, d’ailleurs.
Ma barbe a comme deux poils blancs dedans mais le top de ma tête propose de moins en moins de cheveux pour qu’ils puissent virer blanc, if you’re following at home
Depuis qu’il n’y a plus de nouvelles sur Facebook, je me fait pousser beaucoup de groupes de collectionneurs de vinyles en France, la grosse différence avec ceux au Québec semble être que les boomers de France se crissent de montrer leurs disques de prog que tout le monde possède, ce qui ouvre la discussion à la Génération X, qui se chicane à propos de Sonic Youth à la place. Ils appellent ça des skeuds.
“I will now sell five copies of The Three EPs by the Beta Band,” comme disait l’autre
Il habite peut-être même directement par-dessus; il y travaille probablement
Impossible de s’en tirer sans une joke de scatophilie ici alors je vous laisse le soin de la faire vous-même.
J’aimerais bien vous insérer un exemple en clip audio mais j’pense que c’est peut-être trop en demander.
Ce que j’ai déjà nommé “les pets du diable”
Il a même écrit une toune intitulée Marianne dans laquelle il dit avoir couché avec la Marianne de So Long, Marianne! (“I know her from another song/Her older poet wrote before/We played it in the morning laughing on the floor/Till he came knocking on the Lower East Side door”)
Et ce, en dépit d’avoir apparemment sorti avec Sara Dylan “to see if Sara was what made Dylan Dylan” peu après le divorce! DAVID BLUE SORTAIT AVEC SARA DYLAN ALORS QUE C’ÉTAIT POSSIBLE D’ÉCOUTER BLOOD ON THE TRACKS.
Ceci semble être la version de Blue; Mitchell a essentiellement dit “s’il veut penser ça…”
Rahsaan Roland Kirk est un multi-instrumentiste à vent de jazz américain. Il pratiquait les saxophones (principalement le ténor, mais aussi deux saxophones atypiques : le stritch et le manzello, un appareil de sa fabrication). Il est connu pour sa vitalité sur scène, et ses séances d'improvisation accompagnées de plaisanteries et de discours politiques, où il utilisait trois instruments simultanément. Il pratiquait, par ailleurs, plusieurs autres instruments à vent (flûte traversière, flûte à bec, clarinette).