Jagatara - 南蛮渡来
Si tu pitonnes “punk funk” dans Google, ça va t’amener vers la page Wikipedia de “dance-punk”, qui explique un peu la genèse de plein de musique qui ne fitte pas vraiment dans mon image de ce que “punk-funk” devrait être. C’est certain qu’il y a des éléments de punk et de funk dans ESG, Nina Hagen, New Order, Gang of Four ou PiL, mais je ne vois pas là une véritable fusion du punk et du funk. Je pense que c’était probablement beaucoup plus évident comme lien à tracer en spectacle que sur disque, où il est impossible de vraiment comprendre l’atmosphère de la scène de l’époque et/ou la production rend parfois ça un peu plus lisse qu’en show. (De cette génération, je dirais que les plus proches de cette idée arbitraire que je me fais du punk-funk sont James Chance and the Contortions, mais ils sont plus No Wave, qui est tout de même punk-funk adjacent, mais aussi, cessons de nous perdre dans des dédales pédants de sous-genres.) Je ne vois pas ça non plus dans le mouvement du Madchester et/ou baggy avec les Happy Mondays ou dans l’incarnation la plus récente du dance-punk, les bands American Apparel de ma vingtaine comme LCD Soundsystem, Bloc Party, The Faint et ainsi de suite. Je n’ai rien contre tous ces groupes-là, mais ils ne réussissent pas exactement à satisfaire ce que je vois et j’entends dans ma tête quand je lis les mots “punk-funk”.
Est-ce que ça se peut, du punk-funk?
Avant de découvrir Jagatara et la scène les entourant, la chose la plus proche de ma définition du punk-funk serait probablement les premiers albums des Red Hot Chili Peppers, qui fusionnent le bordel de Parliament-Funkadelic (leur deuxième album est produit par George Clinton, d’ailleurs) et le son de la scène punk californienne de l’époque. C’est pas très bon, je vous l’accorde; ces disques-là ont plutôt mal vieilli et n’ont pas les qualités nécessaires pour être le produit d’un band de marde dont je pense “ah, mais les premiers sont quand même bons”. Reste que, pour le meilleur ou pour le pire, c’était ça pour moi du funk-punk… avant d’entendre Jagatara.
Formés en 1979 par Akemi Edo, Jagatara sortent leur premier 7” en 1981 et leur premier album en 1982, peu de temps après que le guitariste Oto se soit joint au groupe. (Jagatara, en passant, est la prononciation japonaise de la ville de Jakarta en Indonésie. Je ne suis pas assez calé en Japonais et/ou en culture japonaise pour vous expliquer pourquoi ce choix a été fait.) À leurs débuts, Jagatara étaient pas mal un groupe de punks de morons de type GG Allin; ils pitchaient du poulet cru dans la foule et ainsi de suite1. Rendus à la sortie de leur premier album, le son et l’approche sont beaucoup moins chaotiques, quoique ce vidéo live dans lequel le band est attaqué en pleine performance studio par le regretté (regrettable?) Sakevi Yokoyama de G.I.S.M. en témoigne peut-être autrement.
Comme beaucoup des punks japonais qui n’ont pas nécessairement eu de portée outre-mer2, Jagatara mélange les influences et les esthétiques de manière assez pêle-mêle. Visiblement, l’anxiété de la légitimité et la peur d’être vu comme un poseur prenaient moins de place au Japon, de manière à ce qu’il soit absolument possible qu’un band sonne à la fois comme Black Flag et comme Fela Kuti ou que les membres d’un groupe qui fait de la musique extrêmement inoffensive arrivent à la télévision attriqués comme The Exploited3. 南蛮渡来 est donc un mélange de rythmes syncopés à la James Brown, de sloppiness instrumentale et de longues pièces répétitives (il y a autant de chansons de deux minutes que de plus de huit minutes) dans lequel le chanteur prend plus un rôle de prédicateur que de vocaliste.
南蛮渡来 est donc un disque de party, mais de party un brin inquiétant où tout pourrait chier à tout moment. Les guitares sont métalliques et dissonantes, le rythme est perpétuel, les choristes semblent perpétuellement sur le gun et Edo est souvent tellement intense qu’on suspecte qu’il est toujours sur le bord de sacrer son camp du studio et de ne jamais revenir. C’est certain que, par moments, la différence entre ce qu’il y a sur 南蛮渡来 et ce qu’il y a sur Come Away With ESG ou Buy des Contortions est négligeable, mais il y a une qualité nerveuse et immédiate à Jagatara. Même à son plus agressif et dissonant, la majorité du No Wave reste un peu conçu pour le dancefloor; Jagatara reste conçu pour le moshpit.
Y’a des exceptions; la quatrième piste ressemble beaucoup plus à du Medium Medium que le reste de l’album, un funk / new-wave plus poli et pratiquement britannique. Fade Out est un long jam lysergique qui emprunte plus aux dédales psychédéliques de Funkadelic (disons Maggot Brain) qu’aux rythmes saccadés du Godfather. Si les types de funk et les approches au funk varient à travers l’album, une chose qu’il n’y a pas vraiment sur 南蛮渡来, c’est des tounes qui sont juste punk. Les deux dernières tounes - musiciens nés juste après la guerre obligent - virent un peu dans le vieux r’n’r avant d’amener ça dans des zones chaotiques, mais, en dépit de tout ça, faut pas s’attendre à entendre du Clash là-dedans. (Pour ça, il y a le band Anarchy! On en reparlera bientôt.)
南蛮渡来 est un disque ayant eu une influence considérable sur le rock alternatif des années 80 au Japon. Jagatara ont été assez prolifiques considérant l’aura chaotique de leur son et leur image, mais la mort d’Edo, noyé dans son bain en 1990, aura eu raison du groupe. Les différents membres de Jagatara ont laissé leur marque ailleurs - dans le jazz, le reggae, le rock alternatif - et dans le reste des groupes qui ont suivi. Ça existe, du rock alternatif générique japonais, mais sans 南蛮渡来, il y en aurait probablement beaucoup plus.
Si vous aimez: Maggot Brain de Funakdelic, In A Jungle Groove de James Brown, Zombie de Fela Kuti, Buy de The Contortions, The Glitterhouse de Medium Medium, Weed War de The Fools (le band japonais qui compte d’ailleurs de nombreux membres de Jagatara dans ses rangs), les autres albums de Jagatara, 100% et l’album éponyme de Melt Yourself Down, le premier Pop Group, le premier Gang of Four, Rituals de Bush Tetras
Où t’as pogné ça?
Ce que j’ai est une réédition récente que j’ai fort probablement pognée sur Amazon Japon avant de réaliser que pratiquement toutes les sources sont meilleures que Amazon Japon.
C’est-tu sur Spotify?
Oui!
Vas-tu le garder?
Bien sûr.
Chicago — Live at Carnegie Hall
L’autre jour, ma mère me texte alors que je suis dans le métro en train d’aller au bureau avec le pas du tout cryptique, pas du tout paniquant message « peux-tu m’appeler quand tu auras une seconde ». Évidemment, je l’appelle en panique dès que je suis sorti pour apprendre avec stupéfaction que son amie Carole déménage et qu’elle a environ 150 disques dont elle voudrait se débarrasser. J’ai donc profité de mon séjour au Saguenay pour aller chez Carole et pogner les 150 disques en question et constater l’étendue des dégâts. Avant d’aller les chercher, j’ai demandé à mon père s’il pensait que la collection serait plus Black Sabbath ou Petula Clark, et il a répondu Black Sabbath. Hélas, il n’y avait pas un seul Black Sabbath dans le lot ; il y avait beaucoup des usual suspects d’une collection de disques ayant appartenu à une personne québécoise née dans les années 50 (Styx, Supertramp, Chris de Burgh, Gentle Giant, Charlebois, Gaston Mandeville, Billy Joel, Offenbach et Harmonium, mais… étrangement, aucun Shawn Phillips) et, prévisiblement, une chiée de Chicago.
Chicago est tout simplement l’un des groupes américains les plus populaires de tous les temps en termes de chiffres. Ils ont vendu plus de 100 millions d’albums à travers le monde, ils ont eu 23 albums certifiés Gold et, à moment donné, leur discographie entière se retrouvait sur le Billboard 200 en même temps. Les Beach Boys sont le seul groupe qui a eu plus de succès individuels sur les palmarès. Si je demande à un quidam dans la rue qui n’est pas un boomer québécois de me nommer une toune de Chicago, par contre, je ne suis pas certain que tous pourraient répondre. Certains pourraient dire If You Leave Me Now, d’autres Saturday in the Park et j’imagine que 25 or 6 to 4 pourrait se frayer un chemin de par son placement dans des trucs comme The Flash, mais, généralement, c’est assez étonnant à quel point l’empreinte culturelle de Chicago est petite en 2023 comparativement à leur succès continu depuis plus de 50 ans. Chicago existe encore ! Le groupe tourne encore !
Mes propres connaissances de l’œuvre de Chicago se situent essentiellement autour du premier album, Chicago Transit Authority, et de ma stupéfaction de découvrir que c’est essentiellement du jazz-rock (avec une toune de dix minutes qui est juste le guitariste qui se déchaîne tel un Sonny Sharrock) et non pas des balades quétaines AM plates comme la réputation laissait présager. Je ne peux pas dire que j’écoute souvent Chicago Transit Authority, mais j’aime bien ça ; ça laisse donc 37 autres albums de Chicago (sans compter les lives et les compils non numérotées) qui me sont entièrement inconnus. Ce qui n’aide pas la cause, c’est que pratiquement tous les fucking disques de Chicago s’appellent Chicago suivi d’un numéro, sauf le douzième, qui s’appelle juste Hot Streets pour aucune raison concevable. Comment se retrouver dans cette anarchie ?
Parmi la collection de disques qui m’a été léguée, il y avait Chicago Live at Carnegie Hall, un coffret de quatre disques paru en 1971 et qui récolte des enregistrements de la semaine que Chicago a passés en concert au légendaire Carnegie Hall de New York. Ils étaient le premier groupe de rock à jouer à Carnegie Hall pendant une semaine ; ils avaient trois albums doubles sous la ceinture à cette époque, ce qui veut dire qu’en deux ans ils ont fait paraître l’équivalent de DIX ALBUMS. Live at Carnegie Hall dure un peu moins de trois heures, ce qui me semblait le bon type de tâche herculéenne pour me familiariser avec l’œuvre et tâcher de comprendre exactement ce qui s’est passé.
Premier constat : le son est un peu poche, et Chicago me semble le genre de band qui attire des messieurs qui ont des opinions assez strictes sur la qualité des enregistrements qui passent sur leur hi-fi. C’est particulièrement évident avec les cuivres, qui semblent manquer un peu de tonus et se perdre un peu dans le mix. C’est un enregistrement assez cru — il n’y a pas eu d’overdubs en studio, une pratique pourtant relativement courante à l’époque — et on y entend tout de même des erreurs, du feedback, des buzz de micros et ainsi de suite. Considérant que Chicago est un band tout de même extrêmement tight avec des arrangements complexes et de longues tounes arrangées en suites, je ne suis pas convaincu que l’approche « warts and all » est vraiment ce que les gens recherchent.
À la grande surprise de personne qui lit régulièrement cette infolettre, les meilleurs moments de cette épopée gargantuesque sont les jams fuckés à en pu finir, surtout ceux menés par le guitariste Terry Kath. Les pires moments — et il y en a quand même une bonne quantité — sont ceux qui se rapprochent le plus des chansons traditionnelles livrées comme elles l’étaient sur les albums. (Une mention spéciale à Does Anybody Really Know What Time It Is ?, sept minutes de zigonnage de piano à queue qui n’est pas sans rappeler le barbant An Evening With Herbie Hancock & Chick Corea In Concert, aussi retrouvé parmi la même collection. Vu la présence quand même accrue de disques de Keith Jarrett et Dave Brubeck dans les bacs de disques de la métropole, je suspecte que les Québécois vouaient un culte au piano jazz similaire au culte voué au prog pompeux vaporeux plein de guitares classiques.) Trois heures de Chicago, c’est quand même beaucoup de Chicago, et la nature super arrangée et synchro de la majorité des tounes (y’en a une en cinq mouvements) n’offre pas énormément de variations à même l’album.
Il faut dire que même si tout cela semble très prétentieux en surface — Carnegie Hall, les suites, le banter étrangement poli — Chicago n’est pas exactement un groupe prétentieux au même titre que d’autres grosses pointures progressives de la même époque. Si je ne peux nier que j’ai commencé à flancher bien avant d’être arrivé à la fin de ces trois heures de pétrole pressé prenant la forme de suites de rock jazzé, je ne peux pas non plus dire que je trouve ça entièrement mauvais. Le problème avec écouter du Chicago de manière moindrement soutenu, c’est que peu importe de quel bord tu approches ça, ça demande un engagement considérable. Si tu veux écouter un des quatre premiers albums, tu ne vas jamais t’en tirer avec moins d’une heure devant toi. Cette période renferme relativement peu de succès radio, donc un greatest hits risque de ne pas faire l’affaire à moins d’avoir un désir ardent de balades quétaines. Ça me pousse à penser qu’ils nous ont juste eus à l’usure. Une fois que tu as investi plusieurs heures à déterminer si tu aimes ça ou pas, tu es aussi ben d’aimer ça.
Si vous aimez : l’entièreté de l’œuvre de Lighthouse, The Brooklyn Bridge par The Brooklyn Bridge, les 3 ou 4 premiers Blood, Sweat and Tears, Ennea de Chase, l’album éponyme de Heir : Pollution, Buzzard Luck de Ballin’jack, les deux albums éponymes de Dr. Music (beaucoup moins longs et beaucoup plus funkys), Az ördög álarcosbálja de Syrius, l’album éponyme de Guillotine, les deux albums de Manfred Mann Chapter Three si vous trouvez que Chicago est insuffisamment dark et rushant
Où t’as pogné ça ?
On me l’a donné, tel que mentionné.
C’est-tu sur Spotify ?
Oui. Il existe aussi une version de QUATORZE HEURES représentant l’intégrale de ce qui a été enregistré cette semaine-là, si vous êtes vraiment en carence quasi fatale de cuivres.
Vas-tu le garder ?
Un petit oiseau me dit que si ça vous intéresse, il sera fort probablement disponible à prix fort raisonnable dans les bacs du Vacarme. Y’a le poster pis toute.
D’Angelo — Voodoo
Comme bien des blancs-becs nés dans les années 80, j’ai connu D’Angelo par l’entremise du vidéoclip d’Untitled (How Does It Feel) — un clip qu’il est tout de même difficile d’oublier, peu importe où tu te trouves sur l’échelle de Kinsey. Pour ceux qui ne connaissent pas, le clip d’Untitled (How Does It Feel) est simplement un plan unique sur D’Angelo, nu, qui chante la toune. La caméra recule très lentement et arrête juste avant qu’on lui voit l’Angelo avant de revenir en gros plan sur son visage. C’est un vidéoclip qui était impossible à éviter en 2000 et, comme tout bon jeune plouc de région au tournant du millénaire, je ne regardais pas de peur d’être affublé du sobriquet de « gros gai ».
(À noter que c’était très difficile d’éviter de se faire traiter de gros gai à Arvida en l’an 2000 et qu’éviter de regarder un homme presque nu à la télévision n’empêchait en aucune façon d’être quand même traité de gros gai pour avoir, genre, lu un livre ou porté une chemise.)
Je n’avais donc même pas une traître idée de comment ça sonnait, du D’Angelo ; je savais juste qu’il fallait zapper au plus sacrant quand tu voyais sa face. C’est pourquoi j’étais quand même surpris d’apprendre que Light in the Attic allait faire paraître une réédition de son disque Voodoo en 2012, au même moment où j’avais reçu pour Noël un « abonnement » aux sorties du label. J’étais donc dubitatif d’en recevoir une copie ; pour moi, D’Angelo était un chanteur de R&B quétaine qui faisait de la musique de type Usher ou Jodeci. Je ne pouvais concevoir que cet album était considéré bon, et ce, même si je me souviens qu’il avait obtenu 5 étoiles dans le Rolling Stone. Il faut aussi dire que rendu en 2012, j’avais évolué passé le stade primal de « everything except rap and country » et que j’avais laissé le soul et le funk entrer dans mon cœur, mais que je regardais quand même le soul et le funk sorti après mon année de naissance d’un œil dubitatif.
Bref, je suis arrivé là-dedans en état de paralysie dubitative.
Paru à une époque où le R&B et le hip-hop commençaient finalement à dominer le mainstream, Voodoo est un peu une anomalie dans la mesure où c’est sorti en plein quand le R&B se voulait un genre de producteurs et zigonnage de studio beaucoup plus qu’un genre de musique live. Voodoo a été enregistré à partir de jams en personne centrés autour de ? uestlove des Roots et du bassiste Pino Palladino, un habitué de studios qui avait joué sur des albums de Clapton, Paul Young, Phil Collins, Chris de Burgh4, Tears for Fears, David Gilmour… mais rarement les grandes œuvres de ces artistes.
Il n’y a pas d’échantillons ou d’apport informatique évident dans Voodoo ; c’est un disque de neo-soul monté avec les moyens du vieux soul, dans les studios Electric Lady où Jimi Hendrix et Stevie Wonder ont repoussé les limites de la « musique noire5 » dans les années 70. D’Angelo faisait partie d’un collectif d’artistes connus sous le nom des Soulquarians avec (entre autres) J Dilla, Erykah Badu, Q-Tip, Bilal, Mos Def et Common. Ces artistes jammaient dans les studios et ont formé la base de ce mouvement neo-soul, une appellation controversée, parce que définie par la presse musicale (majoritairement) blanche, mais qui a tout de même eu son heure de gloire au début des années 2000. Autrement dit, Voodoo ne se danse pas et ne se blaste pas particulièrement bien dans un char ; à part Untitled (How Does It Feel), il n’y pas vraiment de tubes sur Voodoo non plus. C’est de la musique centrée sur le groove et on voit quand même le traçage de sa création dans les tounes ; elle semblent spontanées, ayant sorti de nulle part et se terminant souvent sans grand flafla.
On ressent aussi beaucoup l’atmosphère de la pièce dans les tounes ; je ne suis pas un audiophile, mais je peux vous dire avec certitude que ceci est le genre de disque que tu veux écouter sur des écouteurs, si possible. C’est aussi pas mal horny comme disque, mais à moins d’être Leonardo DiCaprio, je ne vous conseille pas de vous lancer dans la copulation avec des écouteurs sur la tête. Il y a une texture sloppy et relaxe au disque entier qui est absolument assumée ; on parle quand même de près de 4 ans de jams et de sessions d’enregistrement pour en arriver là.
C’est des chansons souvent très épurées, mais aussi assez denses, où la présence des instruments semble mineure (une basse, une batterie, des bribes de trompette ou de guitare ici et là), mais où il y a tout de même beaucoup de mélodies, d’accents et d’affaires qui se passent en général. Je ne suis pas particulièrement amateur des passes ouvertement hip-hop sur l’album — Method Man et Redman qui arrivent pour dire des shits genre « liar liar, set your pussy on fire » qui brisent un brin le vibe6 — mais c’est un disque très créatif et très « jazzé » à sa manière.
Vous remarquez peut-être que je suis un brin hors de mon élément quand vient le temps de parler de Voodoo ; c’est que, en dépit de mon amour pour l’album, j’ai très peu de contexte pour en parler. Je n’ai jamais vraiment embarqué trop loin dans l’œuvre des autres Soulquarians et je n’ai pas vraiment exploré le reste du neo-soul ; tout ça est assez difficile à métaboliser pour moi, surtout considérant que ce disque m’a été « imposé », pour ainsi dire, par cet abonnement à Light in the Attic. Je peux vous dire que je n’aurais jamais pris une chance sur Voodoo s’il n’avait pas littéralement été dompé chez nous — comme quoi, des fois, il faut juste être prêt à écouter.
Si vous aimez : What’s Goin On et I Want You de Marvin Gaye, Mothership Connection de Parliament, Stevie Wonder, Curtis Mayfield, The Miseducation of Lauryn Hill de Lauryn Hill, Big Inner et Fresh Blood de Matthew E. White, Prince, The Roots, Stone Rollin’ de Raphael Saadiq, Notes Without Attachments de Blake Mills et Pino Palladino
Où t’as pogné ça ?
Je ne l’ai pas pogné, c’est lui qui m’a pogné.
C’est-tu sur Spotify ?
Vas-tu le garder ?
Absolument.
Claudine Longet — Let’s Spend the Night Together
Si Claudine Longet existe encore dans la conscience collective, ce n’est pas pour sa musique ; c’est parce qu’elle a été accusée puis acquittée d’avoir tué son conjoint, le skieur olympique Spider Sabich, en 1976. Je suspecte que même le complexe militaro-industriel des podcasts de true crime ne s’est pas vraiment penché là-dessus et que la majorité des gens n’ont pas la moindre idée de qui est Claudine Longet, donc voici. Claudine Longet est née en France et est arrivée en Amérique du Nord comme danseuse dans la troupe des Folies Bergères ; c’est comme ça qu’elle rencontre le crooner Andy Williams à Las Vegas en 1960. Ils se marient en 1961 et elle devient actrice et vedette mineure de la variété à travers les années 60. Elle fait paraître cinq albums de type easy listening (et de type, généralement parlant, sans intérêt) sur A & M Records avant de rejoindre son ex-mari (ils se séparent en 1970) Williams au sein de la nouvelle étiquette qu’il fonde, Barnaby Records.
C’est difficile pour moi de véritablement juger de la popularité de Claudine Longet à l’époque parce que l’épisode scabreux qui a mis fin à sa carrière a aussi pas mal teinté ce qu’on dit de sa carrière. Une chose est certaine : elle a eu certains succès au palmarès et elle a tenté, tant bien que mal, de faire le bon entre la culture brune mainstream dont elle et Williams étaient issus et la culture plus jeune et populaire hippie en reprenant des artistes comme les Beatles, Donovan, et Joni Mitchell sur ses albums conçus pour être entendus dans des cocktail partys de vieux docteurs burinés qui ont l’air de James Coburn en col roulé en 1968. Longet n’a jamais vraiment pu faire partie de la contre-culture, mais elle l’a quelque peu incarné pour un certain public ; elle joue aussi dans The Party avec Peter Sellers, une relique particulièrement ringarde de l’époque où l’establishment tenait de tendre une perche aux jeunes puants.
Le paroxysme de tout cela, c’est son dernier album Let’s Spend The Night Together, paru en 1972 sur la susmentionnée étiquette de Williams, Barnaby. En surface, c’est un peu la même affaire que les autres : surtout des reprises de rock et surtout des musiciens de studio de Los Angeles chevronnés pour les rendre, mais le choix de chansons laisse présager que Claudine tend microscopiquement vers le champ gauche. Leonard Cohen, Neil Young, les Rolling Stones et Graham Nash viennent se joindre au désormais-habitués Beatles et Beach Boys. Vous me direz sans doute que les Stones pis Neil Young ne sont pas exactement des musiciens underground, mais dans le monde du easy listening lissé comme ça où Tie A Yellow Ribbon Round The Ole Oak Tree est un succès garanti, ça détonne un brin.
Ce qui détonne aussi pas mal, c’est qu’il y a une influence brésilienne assez marquée sur Let’s Spend The Night Together — encore une fois, pas vraiment une surprise dans un monde où The Girl From Ipanema est un standard. Ce n’est pas du Os Mutantes, mais ce n’est pas non plus Sergio Mendes le cheese dans le tapis. La recette est pas mal la même sur l’album au complet : des arrangements doux, des percussions un brin latines et la voix voilée et aérée de Claudine Longet. Vous l’aurez appris ici : Claudine Longet is no Ginette Reno. Elle expire plus qu’elle chante et son interprétation de certaines chansons (God Only Know des Beach Boys, notamment) s’approche plutôt de la récitation que du chant. Imaginez Jane Birkin qui chante pour ne pas réveiller une pouponnière entière pis vous vous approchez du son.
Je vous vois déjà venir : mais là, Alex, tu as écrit un essai au complet sur ton aversion à la belle musique ! On dirait de la belle musique, ça, là. D’habitude, tu nous parles de gars avec des tatouages dans la face pis de messieurs fort probablement schizophrènes qui hurlent. À quoi je répondrais : premièrement, il y a juste Claudine Longet qui a (probablement) tué quelqu’un dans cette gang-là. Elle a (probablement) tué plus de monde que bien des rappers. Deuxièmement, c’est un album de covers qui réussit à offrir des interprétations originales sans dénaturer la patente, ce qui est excessivement rare, surtout en 1972. Le pire type de cover, c’est un cover pratiquement identique à l’originale ; le deuxième pire type de cover, sauf quelques exceptions, c’est un cover qui pourrait essentiellement être n’importe quoi tellement la déconstruction est omniprésente.
Il n’y a rien de ça sur Let’s Spend The Night Together — qui, dans sa chanson-titre, propose l’une de mes reprises préférées des Stones. Les arrangements sont définitivement soft-rock, mais il y a quelque chose de planant et un peu champ gauche quand même à la manière dont la voix oh-so-doucereuse de Claudine Longet se perd dans des couches de synthétiseur et de guitare classique. Ça manque quand même un peu de fuzz et de distorsion pour vraiment répondre à l’appellation, mais je considère que Let’s Spend The Night Together est un peu du proto dream-pop. Le moment fort de l’album est sans contredit la susmentionnée pièce-titre, par contre, qui est beaucoup plus bossa-nova et funky que ce qui précède et qui réussit quelque chose de très, très difficile : devenir un ver d’oreille à part entière de l’originale, chanson que tout le monde a déjà entendue.
Let’s Spend The Night Together fut le dernier album de Claudine Longet — après la mort de Sabich et le procès au cours duquel elle est acquittée, Longet a marié son avocat et est disparue de la vie publique. Ce n’était donc pas nécessairement voulu que ce soit le dernier album, mais la vie a fait ainsi. Ce n’est pas exactement un statement indélébile, mais il y a de pires affaires que tu peux sortir avant de retirer de la vie publique, mettons.
Si vous aimez : So Tonight That I Might See de Mazzy Star, Emperor Tomato Ketchup de Stereolab, Di Doo Dah de Jane Birkin, The Astrud Gilberto Album d’Astrud Gilberto, Camino del Sol d’Antena, l’autre disque sur Barnaby de Claudine Longet, Affinity de Ronaye Shandler
Où t’as pogné ça ?
C’est une maudite bonne question, je pense que c’était un cadeau/une acquisition par une tierce partie qui savait que j’étais à la recherche de ceci.
C’est-tu sur Spotify ?
Vas-tu le garder ?
Bien sûr. Je commence à douter de la pertinence de cette question qui revient chaque semaine. Qui a conçu cette infolettre ?!
Et par “ainsi de suite”, je veux apparement dire “chiaient et vomissaient partout”. “Soon after the band united, Edo used to do hardcore performances like being naked and evacuating around, repeating vomiting and putting it in his mouth again and again, cutting his body with the razor, biting off Japanese striped snake or chicken, but he stopped it against the listeners who regarded it just as performance and decided to express only with playing music.” - https://japanesebandarchives.tokyo/
voir G.I.S.M., Teengenerate, Guitar Wolf, etc
Ils ont évidemment poussé ça à l’extrême avec le mouvement du “visual kei”, des pop stars habillés comme des personnages de Mad Max qui font du genre de glam métal dont il ne sera probablement pas question ici bientôt pour cause de: je trouve que la musique est poche
C’est potentiellement lui sur Lady in Red, un crime que je lui pardonne à cause de Voodoo.
Je sais, c’est quand même wack comme terme en français, mais les Soulquarians eux-mêmes parlent de “Black music”
Apparemment, le verse original était de Q-Tip et tout le monde était d’accord que son verse était trop wack pour rester, ce qui pique tout de même la curiosité!